arch/ive/ief (2000 - 2005)

Un terrorisme d'artifice (Sur la Sûreté de l'Etat et l'A.L.F.)
by Marc Reisinger Friday July 13, 2001 at 12:59 PM

Certains éléments donnent à penser que les attentats de l'Animal Liberation Front belge sont le produit d'une manipulation de l'opinion publique

Les attentats de l'Animal Liberation Front (ALF) ont débuté en juillet et août 1998 par des incendies de six restaurants Quick et Mc Donald's dans la région d'Anvers. En septembre 1998 ces attentats ont été revendiqués par une "section belge" de l'ALF. Deux représentants masqués de l'organisation ont même participé à une émission de la télévision flamande (Ter Zake, 24/09/98).

En novembre 1998 une anversoise de 19 ans, Anja Hermans, et quelques jeunes gens ont été arrêtés comme suspects, puis relâchés. La campagne d'attentats s'est poursuivie pendant deux ans par des incendies de restaurants, de camions et d'abattoirs (26 attentats) ayant causé des centaines de millions de dégâts.

En octobre 2000, Anja Hermans a été arrêtée à nouveau, avec son ami Geert Waegemans, pour avoir mis le feu à la voiture d'un juge d'instruction. Depuis leur arrestation, les attentats de l'ALF ont cessé. Waegemans a reconnu quatre des principaux incendies revendiqués par l'ALF. Anja Hermans nie toute participation aux attentats de l'ALF. Elle aurait mis le feu à la voiture du juge, sous la menace de son ami, pour les venger de leurs multiples interrogatoires. Les deux jeunes gens ont été condamnés respectivement à 5 et 4 ans de prison (ramenés à 3 et 2 ans en appel) pour l'incendie de la voiture du magistrat. Ils n'ont pas encore été jugés pour les attentats de l'ALF.

Un véritable coup de théâtre s'est produit lors de leur procès, sans que personne ne semble s'en rendre compte. Il est apparu qu'un membre de l'ex-police judiciaire, infiltré dans les milieux anarchistes entourant Anja Hermans, pourrait avoir fourni les explosifs (semtex) utilisés lors des attentats (De Morgen 14/06/01).

Il ne s'agirait plus là d'infiltration policière, mais de provocation et d'action criminelle. Seule une intervention de ce type expliquerait d'ailleurs comment un ou deux adolescents auraient pu mener à bien des attentats, pendant deux ans, au nez et à la barbe de toutes les polices du royaume. D'autant plus que l'ALF était censé être "la priorité de la Sûreté, en tant que seul groupe terroriste belge à frapper sur le sol belge" (Le Soir 20/09/98).

L'étrange intervention de la police judiciaire ne peut qu'attirer l'attention sur un autre aspect de la campagne de l'ALF : sa mise en scène médiatique particulière. L'ALF a été "lancée" par le journaliste Alain Lallemand (Le Soir), un spécialiste de la mafia russe, du trafic de drogue, des sectes, etc., qui adore évoquer ses rapports privilégiés avec divers services de renseignement.

L'enquête d'Alain Lallemand sur l'ALF a curieusement commencé avant que l'organisation se manifeste. Le premier attentat de l'ALF a eu lieu le 9 juillet 1998 contre un Quick. Huit jours plus tôt, Alain Lallemand évoquait "le fondamentalisme écologiste (style ALF ou Earth First)" qui allait tomber sous le coup de la nouvelle loi sur les services de renseignement, la Sûreté de l'Etat (Le Soir, 01/07/98). Personne n'avait parlé de l'ALF auparavant. Le journaliste relayait la remarquable prescience de la Sûreté, anticipant sur des attentats qui allaient débuter et être revendiqués un mois plus tard par l'ALF.

Dès ce moment Alain Lallemand n'a pas épargné sa peine pour donner de l'importance à l'ALF: une douzaine d'articles, souvent en première page, invoquant la terreur écologiste: "Le terrorisme écologique s'implante en Belgique" "Les écoterroristes frapperont encore" (10/09/98); "Le mouvement est irrésistible et terrorisant" "Prochaine cible l'internet" (20/09/98) "Demain, la menace d'un attentat contre la chaîne alimentaire pourrait devenir réalité" (18/06/99)... L'activité d'Alain Lallemand prenait des allures de campagne de relations publiques. Comme si le journaliste se faisait le relais de l'ALF - où de la Sûreté - pour inquiéter la population. En janvier 1999 notamment il a participé à un débat télévisé (RTBF) au cours duquel il annonçait - avec l'approbation du magistrat national Van Dooren - que le terrorisme écologique n'en était qu'à ses débuts en Belgique.

Dans son premier article sur l'ALF, Alain Lallemand écrivait: "Le porte parole du groupe écoterroriste "ALF" 'Animal Liberation Front), basé à Londres, nous a confirmé l'existence en Belgique, depuis le 25 avril 1998, d'une cellule d'action directe engagée dans des actions de sabotage économique et de libération des animaux" (Le Soir 10/9/98).

Le repère chronologique est intéressante, car il pourrait permettre de saisir le sens de la "campagne-ALF" (plutôt que "de l'ALF"). Rappelons qu'au printemps 1998, environ un an avant les dernières élections législatives, les partis traditionnels étaient en chute libre, suite au scandale de l'affaire Dutroux et à l'enquête parlementaire sur les enfants disparus. Grâce notamment aux sympathies des parents Russo pour les Ecolos, ce parti (et son équivalent flamand Agalev) effectuaient une percée bouleversant le paysage politique. La chute du parti social chrétien flamand - au pouvoir depuis plus de quarante ans - se dessinait.

C'est le moment où le terrorisme ALF se préparait. Les attentats commencèrent un an avant les élections de juin 1999. Peut-on exclure une manœuvre de certaines sections de l'appareil d'Etat pour saper l'image des écologistes ? Ceux-ci n'ayant jamais été au pouvoir, il n'était pas possible de leur imputer une sale affaire. L'invention d'une face terrifiante de l'écologie pouvait être une tentative de faire fantasmer la population. C'est ce à quoi semblent s'être employés l'ALF, certains journalistes et des manipulateurs restés dans l'ombre. Rappelons que la piste écoterroriste a notamment été évoquée lors de la découverte de restes de cadavres humains devant un Mc Donald's à Bruxelles (Le Soir, 20/10/98).

La désinformation est une technique utilisée par la Sûreté de l'Etat. C'est une activité difficile à contrôler, car elle se déroule dans l'ombre. Au delà du malaise qu'inspire une réflexion sur des manipulations dépassant notre univers familier, il faut éviter de tomber dans la candeur ("C'est impossible !") ou l'abattement ("On ne pourra jamais connaître la vérité…"). Rappelons simplement que la Sûreté de l'Etat est supposée être notre sûreté. Nous avons donc le droit d'exiger son contrôle par nos institutions démocratiques.

C'est pourquoi il serait utile de poser une question parlementaire sur l'écoterrorisme et sur l'action secrète des services policiers en cette matière. On sait, par exemple, que l'escadron spécial d'intervention de la gendarmerie surveillait Anja et Geert au moment où ils étaient en train de mettre le feu à la voiture du juge avec deux bouteilles d'essence. Les gendarmes ne sont intervenus qu'après l'incendie (De Morgen, 28/06/01). Pourquoi ? Est-ce cela qu'on appelle "intervention spéciale"?

Il serait nécessaire aussi de protéger ces marginaux contre des manipulations qui les dépassent. Anja Hermans souffre de troubles psychiatriques. Elle a essayé quatre fois de se suicider en prison. Sa dernière tentative a été effectuée avec une lame de rasoir reçue en prison "pour s'épiler", alors qu'elle avait déjà tenté trois fois de se tuer (De Morgen 21/04/01).

Marc Reisinger (5/7/2001)