Liberté, égalité, citoyenneté (sur la réforme du revenu minimum garanti) by JEAN SLOOVER / Le Soir Saturday June 30, 2001 at 01:23 PM |
La réforme du revenu minimum garanti est à l'ordre du jour.
Fidèle à l'idée d'Etat social actif, le gouvernement envisage d'entourer le « minimex » de procédures visant à insérer celles et ceux que frappe l'exclusion sociale d'un certain nombre de procédures et de mécanismes pour favoriser leur (ré)insertion dans la société. Cette approche est louable.
L'assistance, qui vise exclusivement la survie, n'est pas vraiment digne d'une démocratie libérale moderne. L'égalité des chances - forme embryonnaire de l'idéal égalitaire hérité de la Révolution française et de la pensée socialiste - passe par un effort collectif volontariste qui va au-delà des prestations d'un Etat brancardier.
Dans un récent entretien accordé à un périodique syndical belge, le sociologue français Robert Castel, auteur des « Métamorphoses de la question sociale », dit quelque chose de semblable : Donner un statut minimal, c'est-à-dire donner au travailleur mobile une certaine stabilité et certains droits pour qu'il ne soit pas ballotté au gré de la moindre fluctuation économique, me semble être une question réelle, peut-être même une des questions les plus importantes qui se posent aujourd'hui.
Le revenu vital nouvelle mouture ne répond pas entièrement à cette préoccupation. Et certains ne manqueront pas de faire valoir à son sujet l'une ou l'autre critique de fond frappée au coin du bon sens. L'une d'entre elles consistera sans doute à faire observer que rétablir l'appartenance d'un individu à sa communauté politique est une chose, et veiller à son « employabilité » sur le marché du travail, une autre. Certes, un emploi stable, digne et correctement rémunéré, est un moyen puissant, souvent même le plus efficace pour mettre fin aux souffrances multiformes dont les exclus sont victimes. Par ailleurs, ceux qui rêvent de tourner le dos au marché commettent une erreur de parallaxe. Comme le dit encore Robert Castel : Je ne pense pas que l'on puisse penser l'avenir du monde sans une présence forte du marché.
Mais, dès lors qu'il s'agit d'affilier des enfants perdus, faut-il pour autant veiller seulement à ce qu'ils satisfassent aux exigences du mode de production dominant ? N'est-ce pas donner à ce dernier une souveraineté illégitime ? Un statut hégémonique à une organisation sociale dont le but n'est pas - ou ne devrait pas être - de régner sur nos trajectoires personnelles ? Chacun de nous a en lui des talents, des capacités, des aspirations, des projets. En somme, ce que le Nobel d'économie 1998, Amartya Sen, appelle nos « capabilités ». Celles-ci ne recoupent pas toujours des activités reconnues et rémunérées comme telles par les mécanismes marchands.
Cela est surtout vrai pour la jeunesse volontiers découragée par l'uniforme grisaille des professions. Mais la même remarque vaut pour des personnes actives lasses parfois de jouer les braves soldats du capital. Ou désireuses de s'adonner, tant que leurs forces le leur permettent, à des occupations parfois aux antipodes de leur métier.
Vivre une vie bonne, comme disait Aristote, c'est donc aussi - surtout ? - cultiver son talent en toute liberté. C'est permettre à nos « capabilités » de s'épanouir loin des contingences. En l'espèce économiques. Bref, c'est exister au regard des autres sans passer par le détour de l'échange monétaire. Mais pour cela, il faut davantage qu'un revenu vital pour les démunis. Il faut un revenu de citoyenneté. Peut-être faudrait-il que l'Europe, qui se cherche pour l'heure encore si confusément, y réfléchisse un jour.