Globalisation du roquefort. by des brebis égarées Sunday June 24, 2001 at 02:06 PM |
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On vous envoie ce texte à propos du (des) mouvement(s) anti-mondialisation. Vous pouvez passez sur notre site pour savoir un peu plus ce que l'on diffuse. Sinon, ce texte peut se télécharger au format rtf (comme ça, ça conserve les italiques et cie) à http://tranquillou.free.fr/glob/down/rokefort.rtf
GLOBALISATION DU ROQUEFORT
La “ mondialisation ” correspond à une évolution logique du capitalisme, qui a toujours besoin de s’étendre, et qui veut que le pouvoir se concentre toujours plus entre les mains des plus puissants. Forcément, cela ne peut se faire qu’au détriment de pans entiers de la moyenne bourgeoisie (ça, on s’en tape) et, comme toujours, aux dépens des plus faibles (prolétaires, petits producteurs…).
Pour autant, tous ceux qui depuis toujours connaissent trop bien les conditions de leur domination auront sans doute du mal à ne pas rester dubitatifs face à des discours diabolisant la mondialisation au point de laisser entendre que la bête immonde viendrait juste de pointer son nez, comme si, avant, l’exploitation n’existait pas ou était supportable.
Si les rassemblements anti-mondialisation restent dans une tradition militante de grands rendez-vous thématiques et médiatiques, ce cadre a pu être débordé par rapport aux grandes marches moribondes des années précédentes (type marche de chômeurs, Cologne …) parce qu’il n’y avait pas que des militants bien rodés, et que le discours labellisé par les organisations gauchistes et les syndicats a pu être dépassé.
Le but de ce texte n’est ni d’encenser un activisme sûrement sympathique, quoique pas suffisant, ni de prendre des poses ultra-radicales en mettant à la poubelle tout ce qui bouge, mais simplement d’exprimer des réflexions que cela a pu nous inspirer. Il n'est pas ici question d'avoir une démarche manichéenne, de jeter l'anathème, de dénoncer des individus, mais de remettre en cause une logique qui consiste à instrumentaliser et à rendre inoffensive toute forme de résistance collective.
Depuis maintenant presque deux ans, de nombreux sommets d'institutions telles que l'OMC, le FMI ou même l'UE ont été plus ou moins perturbés par des contre-manifestations. Le point de départ de cette vague peut être donné – au moins au niveau médiatique – à partir du “ blocage ” du sommet de l'OMC à l'automne 1999 à Seattle.
Pour beaucoup à Seattle – et sûrement ailleurs –, le blocage de l'OMC a été la première expérience de critique de ce monde, d'affrontement avec l'ordre du Capital. Que des centaines ou des milliers de personnes – de jeune génération ou pas – contestent leur vie et ce qui les régit, c'est toujours une bonne chose.
Davos, Seattle, Washington, Prague, Nice... furent autant d'occasions pour les gôches-de-la-gôche occidentales d'organiser leurs grandes kermesses internationales, où les manifestations font un petit tour et puis s'en vont. Les sujets comme le chômage, le racisme, le logement… n’étant plus suffisamment porteurs pour mobiliser les médias et les troupes, les professionnels de la protestation érigée en spectacle se sont reconvertis dans le secteur de l’anti-mondialisation, nettement plus tendance.
Quel que soit le terrain où ils interviennent, ces gestionnaires de la contestation canalisée ne veulent surtout pas que soient remis en cause les fondements de l'exploitation capitaliste (société de classes, Etat, police, fric...).
On les voit susciter fatalisme et confusion, prônant le “ réalisme ” réformiste “ face à tous les extrémismes ”. La seule chose qu'ils réclament c'est de pouvoir corriger les abus du système, de réduire “ l'excès de misère ”. A les entendre, il suffirait de prélever une infime partie des transactions financières, d'instituer un revenu de galère optimal, ou mieux d'exercer un contrôle citoyen pour que cette société fondée sur l'exploitation, la peur, l'aliénation, l'accumulation (pour certains)... cesse d'être ce qu'elle est, et cesse de nous écraser !!!
“ Paradoxalement, dans la mesure où elles accélèrent l’intégration sociétal dans les critères financiers, les manifestations spectaculaires style José Bové éloignent la perspective du choc frontal. Encore quelques MacDonald’s détruit et assurément “la guerre antimarchés n’aura pas lieu!” “
Octave Gélinier. Président d’honneur de la Cegos. In un article publié dans Echanges (n°170) « le mensuel des directeurs financiers et des contrôleurs de gestion. »
Quand la partie officielle de ce mouvement avance une demande “ radicale ” de démocratie, avec pêle-mêle la revendication d'un contrôle “ citoyen ” des instances économiques mondiales, d’un contrôle des marchés et même d'y apposer une taxe libératrice, cela procède d’une volonté de pousser à un capitalisme “ plus humain où tout le monde aurait sa place ”, et également de défendre l'Etat-nation... Première tarte à la crème, la notion de contrôle citoyen, très présente puisque essence de leur position pour toute une frange de ceux qui manifestent (INPEG, José Bové, etc.). Cela revient à dire que la façon dont tourne le monde n’est pas source d'exploitation, mais qu'il faudrait mieux gérer les institutions pour que tout le monde ait droit à sa part du gâteau. Et la part du gâteau pour les leaders de cette revendication, c'est une reconnaissance et une part de pouvoir. Ce n'est d'ailleurs rien d'autre que ce que disait une dirigeante de l’INPEG à Prague après avoir fait une table ronde avec les hauts fonctionnaires du FMI : “ Les gens du FMI et de la Banque mondiale ne sont que des fonctionnaires du G7 ; c'est avec eux (les dirigeants du G7) que nous devrions discuter. ”
Avant-garde et arrière-pensées
Il faut tout de même reconnaître que certains de ces pompiers sociaux ont le mérite de dire les choses clairement. Un de leurs arguments est que leurs revendications visant à aménager le capitalisme peuvent être salvatrices pour ce dernier, qui, s’il est tenté par par l’envie de déréguler pour accroître les profits, a également besoin de réguler pour assurer une stabilité minimale ; les 2 oscillant en fonction des conjonctures socio-historiques. Il nous faut bien avouer que sur ce point nous sommes totalement d’accord avec eux : ils sont l’avant-garde éclairée… du capitalisme.
Ainsi voyons-nous des économistes opposés aux ultra-libéraux, mais néammoins défenseurs du capitalisme, dans une version néokeynésienne relookée, se faire les fervents partisans de la taxe Tobin, qui pourrait, selon eux, protéger le(s) marché(s) des dangers dus à ses (leurs) délires spéculatifs incontrôlés. De la même manière, d'autres universitaires du même tonneau n'hésitent pas à nous expliquer que l'instauration d'un revenu garanti généralisé est à présent le meilleur moyen de réhabiliter l'Etat et de préserver le système. La gôche-de-la-gôche – qu'elle soit écolo, relookée José Bové et tutti quanti – va donc jusqu'à réhabiliter le concept d'un Etat-nation fort, dernier rempart face au marché mondial, lui vraiment trop méchant... Sombrant parfois dans le chauvinisme, on les voit s'attacher à des frontières, à des marchés niches ou régionaux. On en vient même par exemple, à soutenir le marché du roquefort, “Roquefort Société” étant une entreprise capitaliste comme toutes les autres. Pourtant José Bové ne s'est jamais présenté comme un salarié – un exploité – de ce consortium, comme si leurs intérêts étaient liés. Pour la petite histoire, Roquefort Société sponsorisait l'événement de Millau.
“ [A Seattle] Il y aura peut-être une centaine de milliers de manifestants, certains pour protester contre l'OMC, d'autres pour souhaiter qu'elle fonctionne mieux. Je pense que vous faites partie de la seconde catégorie ! Je vois en vous un allié, nous sommes d'accord sur au moins 40 % des sujets ! ”
Mike Moore – directeur général de l’OMC – lors d’une entrevue avec José Bové le 4 novembre 1999. (in Libération le 5 novembre 1999). Le round de l’OMC a eu lieu le 30 novembre 1999 à Seattle.
Alors que dans le fond peu de chose ont changé, l’habillage de la gauche de la gauche a évolué. Elle s’est parée d’une radicalité de façade. En réinvestissant le terrain social (souvent virtuellement), en posant un discours de non-marchandisation de la vie, d’élargissement militant, d’investissement citoyen… bref, en sortant, dans la forme, de la politique politicienne pour être aux côtés des “ gens ”, pour devenir plus concret. Le tout accompagné de pratiques labellisées radicales. Tout cela reste évidemment du flan puisque, d’une part, les propositions de réappropriation de la vie se cantonnent dans les limites de la démocratie représentative et ne bousculent ni les notions d’Etat, ni le capital. D’autre part, les formes des actions, “ les pratiques ”, n’ont jamais été garantes du fond. On se souvient d une grève autogérée en Afrique du Sud menée par des ouvriers blancs afin d’empêcher… des Noirs de bosser avec eux.
Ce glissement de la gauche de la gauche suit le glissement général des milieux militants. Depuis (au moins) dix ans, un ras-le-bol des differents discours langue de bois a permis d’amener ces différents milieux à s’investir plus concrètement dans les luttes et les mouvements sociaux (mais en y développant souvent un discours totalement asceptisé), à faire exister cette fameuse société civile. Créant ainsi de nouveaux espaces politiques et de nouveaux interlocuteurs pour l’Etat. Certaines crapules underground devenant alors des crapules officielles. Ces dernières étant souvent présentes depuis longtemps sur ces nouveaux terrains à investir, il n’est pas étonnant qu’elles aient gardé des pratiques et des discours d’avant ; participant ainsi à l’habillage radical de la gauche de la gauche. Cette façade liée au “ réalisme ” (à opposer à notre “ utopisme ”) leur apporte un important soutien.
La gôche-de-la-gôche étant ce qu’elle est, c’est-à-dire l’illusionnisme social de l’illusionnisme social, il n’est pas étonnant qu’il n’y ait pas de frontières entre eux et la gôche plurielle. On peut d’ailleurs d’ores et déjà parier que bon nombre des figures de la gôche-de-la-gôche s’y recycleront rapidement.
Dans ce monde marchand où tout s’achète, tout se vend, leur monnaie d’échange sera de permettre à la gauche plurielle de se régénérer et de s’offrir un ravalement de façade sociale. A commencer par les grands shows anti-globalisation comme Porto Alegre où se sont fait remarquer les Français Guy Hascoët, secrétaire d’Etat Vert à l’Economie solidaire, François Huwart, secrétaire d’Etat au Commerce extérieur et… et, bien sûr, celui qui se fait maintenant surnommer le Che : Jean-Pierre Chevènement. Et par qui a-t-il été invité à Porto Alegre ? Par son ami… Bernard Cassen, directeur général du Monde Diplo et président d’Attac.
Pour sûr, plus ils arriveront à réduire toute forme de contestation à cette logique d’aménagement revendicatif et “ responsable ” de l’exploitation, plus la bourgeoisie pourra dormir tranquille.
Par contre, plus on se situe sur le terrain réel de la lutte sociale (toute forme au quotidien de résistance à l’exploitation, qu’elle soit individuelle ou collective), en contact direct avec les gens concernés, plus on est loin du domaine de la “ lutte ” virtuelle mise en scène pour les médias, plus on a de possibilités de maîtriser collectivement nos actions. Même si là encore il, peut arriver que l’on se fasse instrumentaliser par les gauchistes.
De toute façon, on constate que tous ceux qui passent par les sphères plus ou moins importantes du pouvoir foutent nos révoltes au tombeau. Et cela vaut pour tous les leaders quels qu'ils soient. Sans doute, certains sont-ils moins manipulateurs, et plus sincères, mais le résultat est le même : c'est bien parce qu'il est nuisible qu'il faut se passer du chef.
Il nous semble, en revanche, important de ne pas mettre dans le même sac manipulateurs et manipulés et d’éviter de rentrer dans une logigue de guéguerre (ou de mépris) contre ces derniers, même quand ils se retrouvent amenés à faire le jeu à leur insu de quelque ambitieux petit leader.
Des franges plus radicales émergent lors de ces rassemblements où s'expriment des exigences en dehors de l'aménagement de ce système, avec un certain refus de la marchandisation, de la propriété, de toute négociation et la volonté d'attaquer le capitalisme lui-même ainsi que l'Etat. C'est bien cette potentialité de critique qui nous intéresse. C'est toujours agréable de savoir que des milliers de gens ont pu s'organiser pour gêner le “ bon ” fonctionnement du système dans telle ou telle ville, mais, quand ces grandes kermesses internationales deviennent des rendez-vous incontournables pour toute une partie de ce que l’on pourrait appeler la “ mouvance radicale occidentale ” et que celle-ci semble s’y élaborer des mythes, cela ne va pas sans poser quelques questions.
La limite évidente d'un type de mouvement qui se traduit en une répétition de mobilisations ponctuelles lors d'événements précis est de rester enfermés dans une opposition uniquement volontariste. Car même en critiquant et en s'attaquant au capitalisme lui-même, ce n'est pas à coup de démonstrations symboliques et ponctuelles que l'on peut détruire tout un système social. Ceci est bien démontré dans le texte Give up activism (traduit en français par Je Sais Tout), notamment en disant : “ Il semble que nous n’avons qu’une très petite idée de ce que requiert, en fait, la destruction du capitalisme. Comme s’il suffisait de parvenir à une sorte de masse critique d’activistes occupant des bureaux pour avoir une révolution… (…) Nous continuons à penser en termes ‘‘d’activistes’’ faisant une ‘‘campagne’’ sur un ‘‘thème’’, et parce que nous sommes des activistes pratiquant ‘‘l’action directe’’, nous allons ‘‘faire une action’’ contre notre cible. La méthode de campagne contre des développements spécifiques ou des entreprises isolées a été transplantée telle quelle sur ce nouvel objet qu'est l'attaque du capitalisme. (...) On a ainsi le spectacle bizarre de ‘‘faire une action’’ contre le capitalisme – une pratique profondément inadéquate. ”
On peut également se demander dans quelle mesure on ne fait pas le jeu des gauchistes qui instrumentalisent ces mouvements, notamment avec l'aide des médias. Pour pouvoir être reconnus, négocier avec les institutions, exister vis-à-vis des médias, ils ont besoin de pouvoir manœuvrer des troupes et, dans bien des cas, ils s'accommodent d'une aile gauche tant qu'elle ne risque pas de les déborder. Du moment que cela ramène des gens ! Et puis aussi une aile gauche, ça leur permet de se présenter comme ayant une position centrale, ce qui est toujours plus confortable pour négocier. On pourrait penser que, dès lors qu'il y a des affrontements, on ne serait plus instrumentalisés par les gauchistes. Ne tentent-ils pas de les empêcher ? Ne les dénoncent-ils pas publiquement ? On pourrait le croire… Mais tenter de limiter la casse, c'est se donner les moyens de la contrôler, condamner publiquement, c'est vouloir se donner une dimension “ respectable ” vis-à-vis des institutions. Ainsi le deal peut se résumer ainsi : “ Vous nous reconnaissez comme interlocuteurs ou l’on se fait déborder et il y aura de la casse. ”
D’autres part, est-ce qu’une flambée d’une semaine dérangera des gens dont les business sont très loin. Nous ne touchons pas en ces moments à quelque chose qui les préoccupe (Nice, Davoz, Seattle : ils s’en foutent). Peut-être pouvons-nous dire qu’ainsi des villes vont refuser d’héberger ces sommets. Mais dans ce cas-là, d’une part, c’est faire l’aveu du non-discours de ces actions (si ce n’est “ Non au sommet ”), et d’autre part, puisque le problème ne serait que logistique (ou militaire), faisons-leur confiance pour trouver des solutions. Ils ont plus de moyens que nous (on parle de déplacement à Dubaï…). S’il se passe quelque chose d’intéressant entre les émeutiers, ce n’est pas en nombre de vitrines éclatées que cela se calcule.
De toute façon, ce n’est pas par la simple casse que l’on reconnaît ses camarades. En effet, certains groupes politiques aux alliances et aux discours douteux font leur beurre et leur publicité sur de simples faits d’armes (les Tutti bianchi par ex.) ou sur des appels à la casse ou l’ouverture de squats. Certains publient des articles dans lesquels le sommet n’est abordé que d’un point de vue technique (ouverture de lieu, organisation collective de l’affrontement…). Mais leur discours est par ailleurs hallucinant : alliance avec la CGT, revendiaction du revenu garanti… Cet investisement dans la violence fait croire un temps (à eux y compris) qu’ils sont (restés ?) dans une logique de rupture. En cultivant le mythe “ la violence, c’est forcémment bien ”, nous redonnons une légitimité politique à ces “ radicaux ” tentés par l’appel de la reconnaissance et de l’intégration lancé par la gôche-de-la-gôche
Il est naïf de penser que l’émeute est porteuse d’un message clair par elle-même et qu’elle nous permet de faire l’économie de discours ou de recherche d’autres formes de présence. Surtout à l’occasion de grands rassemblements militants où l’on sait que 90 % des manifestants sont militants (donc nous sommes loin de “ l’émeute populaire et/ou spontanée ”). Faut-il rappeler que l’illégalité et la violence ne sont l’apanage de personne, qu’elles sont pratiquées par des réac, des fachos, des stals, des réformistes, des beaufs ? Sans parler bien sûr de l’Etat et des bourgeois qui sont les premiers à violer leurs propres lois et dont la violence bat tous les records ? Les exemples de manifs ou d'actions aussi speed que réac ne manquent pas : paysans de la Coordination rurale, chasseurs, Corses... La palme revenant à la CDCA – organisation de petits commerçants et artisans – d'obédience ultra droite, qui sait se donner les moyens de mettre à sac une sous-préfecture.
Autre chose, la croyance en le mythe “ violence = radicalité ” participe à susciter un faux clivage qui va fractionner les gens selon qu’ils sont (avec toutes les variantes imaginables) plutôt non-violents, simplement mal à l’aise face à la violence physique, partisans de l’insurrection au “ bon ” moment ou adeptes de l’émeute permanente… Une fois de plus, le (véritable) clivage de classes, celui qui oppose possédants et possédés, manipulateurs et manipulés, se voit masqué par un faux clivage entretenu (comme toujours de façon non concertée mais néanmoins implacable) par tous ceux qui ont intérêt à susciter la division : pas seulement l’Etat, mais aussi tous les (petits ou grands) chefs (qu’ils se disent légalistes, responsables, radicaux ou illégalistes…), qui entendent ainsi garder la mainmise sur leurs troupes.
Bon d’accord, non-violence rime trop souvent avec légalisme, mais ça n’est pas systématique. Evidemment, quand des “ non-violents ” au cerveau moisi se font le relais de la répression et vont livrer à la police des émeutiers, comme ont pu le faire certains membres du Direct Action Network à Seattle, ils choisissent clairement leur camp ! Message reçu 5 sur 5 : le clivage est, là, net et total. A bon entendeur, salut !
Apologie de la violence ou de la non-violence : voilà 2 idéologies qui finalement ne diffèrent guère pour nous imposer leurs modèles moralisateurs. La libération face à l’aliénation n’a besoin ni de héros ni de curés, bien au contraire !
“ Grèves économiques et politiques, grèves de masses et grèves partielles, grèves de démonstration ou de combat, grèves générales touchant des secteurs particuliers ou des villes entières, luttes revendicatives pacifiques ou batailles de rue, combats de barricades, toutes ces formes de lutte se croisent et se côtoient, se traversent ou débordent l’une sur l’autre : c’est un océan de phénomènes éternellement nouveaux et fluctuants. ”
Rosa Luxembourg in Grève de masses, partis et syndicats. 1906.
Bien évidemment, il ne s’agit ici en aucune façon de faire une propagande non-violente et encore moins de condamner les révoltés sociaux qui décident d’affronter l’Etat et ses sbires. Par contre, ça ne fait pas de mal de bousculer les mythes. L'émeute pour faire ses courses n'est qu'une forme capitaliste des rapports sociaux, certes violente et/ou justifiable, mais qui n'a rien n'à voir avec la révolution et le communisme. De même que la casse pour la frime et les gros bras relève d'un trip militaro-machiste. De plus, dans les manifestations où l’on a pu se retrouver à l'affrontement face soit à la police, soit au mobilier urbain ou commercial, nos trop régulières situations parcellaires nous ont bloqués dans le spectaculaire. Il est symptomatique de voir que les débordements en question se font toujours dans un lieu (généralement la manifestation et ses alentours) et un temps précis (quelques heures après la manifestation, les plus malins sachant partir avant de se faire arrêter). Et même s'il y a un phénomène de répétition des affrontements, cela reste totalement cantonné à ces kermesses et on ne voit pas comment cela peut sortir de cette logique médiatique qui ne produit que virtuel et consumérisme.
Romantisme ou guerre de classes ?
Un véritable effet boule-de-neige peut-il être espéré autrement que lors de luttes sociales ?!!! Tout cela ne risque-t-il pas de n’être qu’un feu de paille de plus s’il n’y a pas une volonté au quotidien de lutter avec l’ensemble du prolétariat (*).
Ce qui nous semble donc plus intéressant dans ce qui a pu se dérouler à Seattle, Washington, Prague... c'est comment des milliers de gens se sont auto-organisés avant, pendant et après, les liens qu’ils auront pu tisser, quelles dynamiques collectives s'y sont développées, ce qu'elles auront engendré comme ruptures avec le système et toutes les structures hiérarchiques qu'il nous impose... Que se fait-il en dehors des grands rassemblements pour que les idées et les pratiques antagonistes se propagent ? A quel point les individus ou les collectifs ayant participé à ces rassemblements sont-ils impliqués quotidiennement dans la lutte de classes sur le terrain social ?
Ce qui semble, lors d'une émeute, autrement plus subversif que le score au nombre de vitrines éclatées, c'est le fait qu'elle peut potentiellement engendrer ou accélérer une dynamique collective de rupture avec le cadre revendicatif légaliste. Le but de l'émeute est de se réapproprier la rue, de libérer un espace non pas d'un strict point de vue géographique, mais d'une position sociale. Libérer un espace social donc, pour créer dans l'émulation du moment de nouveaux rapports sociaux, et s'organiser pour la guerre de classes.
C'est bien toujours la même crainte qui hante la bourgeoisie. Horst Köhler (président du FMI), lors de son discours d'ouverture du colloque du FMI et de la Banque mondiale à Prague le 26 septembre 2000, fut explicite. Ainsi, il expliqua qu'une des missions majeures du FMI est la lutte contre la “ pauvreté ”, exactement dans ces termes : ” Les fractures idéologiques du passé se sont estompées. […] La pauvreté fait peser une menace grave sur la stabilité politique de notre monde. ” On voit clairement que bien plus que n'importe quel krach boursier, instabilité du marché ou obstacle bureaucratique, ce qui fait peur c'est le risque d'atteinte à la paix sociale. L’atteinte à la paix sociale qui serait générée par un excès de “ pauvreté ” comme le dit pudiquement Horst Köhler n'est rien d'autre que la révolte des classes sociales exploitées. Exploitées pour pouvoir accumuler richesses et profits que le FMI tente de défendre.
Et ce qui peut inquiéter les décideurs dans les manifestations anti-globalisation, c'est qu'elles pourraient être les prémices d'un brasier plus général. D'où l'empressement de les rendre raisonnables comme le dit James D. Wolfensohn (président de la Banque mondiale) “ [Je] trouve un réconfort dans le fait que parmi les manifestants, beaucoup témoignent d’un engagement sincère et qu’ils déplorent sincèrement, comme nous le déplorons, qu’il y ait des individus dont la seule motivation était de détruire. ” C'est que tant qu'il ne sera demandé qu’une répartition un peu plus juste, le capitalisme aura toujours moyen de composer et de se recomposer.
Les forces de gauche, qui veulent faire du neuf avec du vieux, nous resservent le vieux mythe que, dans ce monde se voulant démocratique, la sage organisation de citoyens respectueux permettra de corriger ce qui serait des abus, et ainsi de vivre dans un monde juste et équitable. Foutaises que tout cela, c'est une folie de croire que le moteur même d'un système – l'exploitation et l'accumulation de richesses pour une minorité – puisse être qualifié d'abus quand cela va trop loin (exploitation accrue, accaparation des richesses scandaleuse) et corrigé par le jeu des institutions actuelles. Parce que le tout est compris dans le reste, ce n'est que dans le combat contre toutes les formes d'exploitation que se situe la possibilité de libération.
La question est de se battre contre l'exploitation que l'on subit, qu'elle soit transnationale ou pas, avec ou sans protection sociale. C'est bien là que se situe l'émancipation des prolétaires, et pas dans la défense de tel ou tel choix pour le capital. La question n'est pas plus d'abolir le FMI, par exemple, ou une autre institution. Ce ne sont que des outils à un moment pour réguler le marché. Ce n'est pas en éliminant une institution gestionnaire que l'on se débarrasse du problème.
De toute façon, la marche historique du Kapital avance, le problème n'est pas de savoir où ni comment, mais de s'en affranchir.
C'est dans des luttes sur nos vies quotidiennes que se définit notre exploitation, c'est là aussi que doivent émerger nos luttes, notre contestation. Et ce ne doit pas être un vœu pieux que de vouloir intervenir sur les raisons, les moments qui modèlent notre vie. C'est dans les moments quotidiens de la lutte de classes que se définissent les possibilités de changer ce vieux monde.
Des brebis égarées.
Quelque part en ce début de siècle.
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(*)Ou du moins avec ses franges les moins réactionnaires : aux USA, parmi les manifestants anti-mondialisation bon nombre de salariés craignant pour la survie de leur boîte ont développé ou repris des discours protectionnistes avec des relents racistes. Cela dit, on a pu constater que justement quelques-uns, au moins, ont changé après avoir côtoyé des étrangers qui tentaient de résister comme eux, à une même logique capitaliste, et après avoir été confrontés à d’autres idées au sein des manifs à Seattle.