arch/ive/ief (2000 - 2005)

ZLEA et anarchisme(s): action, réaction, construction...
by Karim Al Mahjnun Friday June 01, 2001 at 02:54 AM
karimalmahjnun@hotmail.com quebek

Les mois à venir seront une bonne épreuve pour la CLAC, CASA et les différents groupes anarchistes ou autonomes: sauront ils poursuivre les efforts au sein des communautés locales et dans les différents espaces de résistance, bref être un mouvement social ? ou céderont ils à la facilité des rivages connus en restant, pour citer l'anarchiste et révolutionnaire afro-américain Lorenzo Kom'boa Ervin, "un mouvement de contre-culture pour la jeunesse blanche" (2) ?

Texte de Karim Al Mahjnunl- karimalmahjnun@hotmail.com

Zone de libre exploitation des amériques et anarchisme(s): action, réaction, construction...

La CLAC (Convergence des Luttes Anti Capitalistes), CASA ainsi que différents groupes et individus anarchistes, autonomes et autres ont préparé la mobilisation radicale à Québec.

On peut parler de franc succès. En effet les groupes radicaux ont fait face à plusieurs mois d'intense propagande de l'état policier et de ses relais médiatiques (les agents de répression ont dans les mois précédant le sommet, martelés le même message: les opposants radicaux sont une source de violence, puis sont des criminels et finalement ils seraient devenus des terroristes). Et que dire du rôle des journalistes de multinationales (renommés journaflics par la journal anarchiste Le Trouble), ceux-ci nous ont livrés un feu d'artifice de non information spectaculaire: quelques publi-reportages sur les mérites de la ZLEA pour le continent; centaines d'articles sur le technico-sécuritaire (hauteur des grillages, taille des balles plastifiées...) éditoriaux suscitant le mépris, l'étrangeté-peur envers les radicaux; opposition binaire entre bons opposants (réformistes, autoritaires, néo-keynésiens) et mauvais opposants (les méchants: radicaux, anarchistes, révolutionnaires), entre "violents" et "non-violents", entre "réalistes" et "jeunes fous" etc.

De Tobin à Fukuyama, il n'y a qu'un pas...

Sur ce point il est à noter que les groupes dits réformistes ou autoritaire (grands syndicats corrompus, groupes citoyennistes, ONG subventionnées...) ont soigneusement cultivés cet aspect de la propagande médiatique quand ils ne l'ont pas eux-mêmes suscité.
La mouvance radicale a donc été confrontée aux pratiques négationnistes et autoritaires des "extrémistes" du capitalisme à visage humain; ceux-ci souhaitant (citation de mémoire d'un responsable d'ATTAC Québec lors d'une intervention au congrès du R.A.P (1)à l'UQAM) "sauver le capitalisme".

Ces pratiques s'accompagnaient d'un discours de la déception vis à vis d'une mobilisation clairement anti-capitaliste, anti-étatique et respectueuse de la diversité des tactiques:
Par exemple Philippe Duhamel (surnommé Du m.l ou mongénéral et chef d'orchestre d'opération salami) expliquait en grand stratège militaire qu'il était idiot d'entreprendre une action contre le mur de la honte à moins de pouvoir mobiliser 5000 personnes, objectif irréaliste selon lui. A quoi il ajoutait, persuadé d'avoir inventé la poudre, ce qui est répété depuis des lustres dans le mouvement militant radical: il ne faut pas se contenter de réagir à l'agenda de rencontres des maîtres du monde. Dès la journée de vendredi à québec et la chute du périmètre chacunE à eu l'occasion de vérifier les dons de divinations du général-stratège. Rappelons également que de nombreux groupes autoritaires dont opération salami, ont cherché activement l'isolement de la CLAC et CASA, cet isolement pré-sommet a partiellement fonctionné au niveau québécois et surtout montréalais mais a échoué à l'échelle continentale grâce à l'impressionnant travail d'ouverture et de liaison externe mené par la CLAC. Comble d'ironie lors des événements et depuis ceux-ci opération salami et acolytes sont marginalisés (rassurez-vous ils trouveront toujours une oreille complaisante auprès des gardiens de la pensée unique).

D'autre part le discours de la déception mené par les organisations autoritaires et réformistes était basé sur la stratégie et le dogme suivant: toute action militante doit avoir une bonne image médiatique.
En effet la force d'auto conviction des militantEs autoritaires (et pas uniquement ceux-ci) vient de l'association qu'ils-elles opèrent entre éducation populaire et le fait de voir son message porté par les mass médias occidentaux. Dans cette perspective, les discours et les comportements militants doivent être normés et contrôlés afin d'obtenir le meilleur rendement dans le paysage médiatico-spectaculaire.
Les "anarchistes" sont vus alors comme de jeunes fous-folles sans stratégie, voire comme des saboteurs du potentiel de conquête de pouvoir réel et symbolique.

Or dans une optique libertaire un tel choix relève selon moi de l'imposture ou de la naïveté la plus crasse. Il est pathétique de prétendre fonder des alternatives aux instances et politiques "néolibérales non démocratiques" en utilisant des supports de communication autoritaires, centralisés et cultivant la passivité sociale.
Ainsi croire qu'on "utilise" les médias en adaptant l'agir et le discours aux contraintes implicites et explicites est une illusion: au contraire on devient outil, on collabore au spectacle totalitaire marchand. De même le consommateur d'un journal n'est pas client mais produit, marchandise au service du véritable client: l'acheteur d'espace publicitaire.

Dans une perspective radicale ("aller à la racine d'un problème") et anti autoritaire, l'éducation populaire (présenter son discours de critiques, prétentions et contre projets au plus grand nombre) se fait en essayant d'éviter les instances de propagande et de domination plutôt qu'en ignorant le pouvoir de celles-ci ou en cherchant leur reconnaissance.
Concrètement ? De plusieurs façons complémentaires: militance de quartiers ou spécifiques (fêtes de quartier, défense des locataires, regroupements féministes, problèmes des communautés de couleurs, racisme et déportation des immigrants illégaux, brutalité policière, crèches et éducation alternatives, revendication de services publics autogérés etc.) ; luttes sur les lieux de travail et d'éducation-endoctrinement; médias militants et communautaires (radios, journaux, internet, maisons d'édition...); création d'espaces d'expérimentation des alternatives sociales, économiques, culturelles, écologiques, sexuelles etc.
Évidemment cela est infiniment moins "sexy" et moins facile que faire des contorsions politiquement correctes devant les médias de multinationales ou se contenter de tourisme planétaire anti-sommet ou encore de poser son gros cul de bureaucrate d'ONG sur les subventions publiques en montant des projets bidons, déconnectés et impérialistes du type "formation aux nouvelles technologies en équateur".

Les groupes d'opposition des régions prétendument "sous-développées" l'ont bien compris car, lorsque ouvertement privés des moyens d'expression de masse (médias, manifestations, lieux de culte ou d'enseignement étatique), ils développent un activisme multiforme et parallèle que seule la force brute des régimes parvient à contenir. En revanche les méthodes sont souvent autoritaires et leurs objectifs intégrables à l'impérialisme et au règne de la marchandise.

Revenons aux événements du carnaval et parlons le langage minable des chiffres et des comparaisons:
En dépit d'un climat pré-sommet extrêmement négatif 6000 à 10000 personnes pour la marche anticapitaliste et festive du vendredi pendant que la poignée de prétendants gestionnaires du capitalisme à visage humains étaient enfermés dans la logique et les couloirs de leur contre sommet orchestré.
Le même (ir)responsable d'Attac-Québec se souvenait-il alors avoir déclaré, lors de l'assemblée du RAP(1), qu'il ne voyait pas comment il était possible de mobiliser en se déclarant anticapitaliste ? idéologie de la non idéologie...

Au fait que mobilise Attac Québec avec son discours "rénové" et supra-idéologique? qui , pourquoi, combien (mis à part ses "membres"-donateurs et ses cadres) ?

Les bons et les mauvais dans l'action

Contrairement au délire propagandiste, surprise ! les anarchistes et autres radicaux n'avaient ni bombes, ni missiles SCUD, ni dents de vampires. Par contre ils-elles étaient porteurs d'autres armes: détermination, créativité et spontanéité, colère et joie, unité et diversité, compréhension lucide du (dés)ordre planétaire, organisation fluide et démocratique. Dès les premiers assauts il y a eu des ouvertures dans le périmètre "infranchissable": autre succès du carnaval anticapitaliste. La symbolique était forte et a eu un écho positif autant auprès des résidentEs de Québec que des militantEs de base présentEs au vieux-port. Rappelons le numéro de dénonciation calomnieuse de la part de certains complices du PQ et des chambres de commerce (particulièrement des bureaucrates en chef de la Fédération des Femmes du Québec): placer son discours plus à droite que certains médias (radio-canada, journal de québec et le soleil édition du samedi ont donnés une image relativement positive du carnaval sur le ton "les radicaux font tomber le mur") bravo !
Rassurez vous dès le lendemain on retrouvait à longueur d'article l'opposition "bons" opposants versus mauvais.

La journée de samedi a aussi donné une idée des potentiels d'un mouvement libertaire ou radical évoluant dans un contexte hostile.
Les syndicats corrompus ont tout fait pour détourner l'énergie collective à l'opposé de l'espace de confrontation (le périmètre) et la mener dans le no man's land "démocratique" dont les élites syndicalo-mafieuses américaines ont le secret. Ainsi sur le cortège de 30 000-60 000 personnes (dont la platitude consumériste n'avait rien à envier à la file d'attente de l'épicerie un samedi), environ 7000 à 15000 personnes (selon les sources) se sont dirigées vers les zones d'affrontement autour du périmètre. Immédiatement la zone est devenue Zone Autonome Temporaire, un espace où pendant quelques heures, les milliers d'être humains assembléEs ont été observateurs et créateurs d'actes et de rapports humains qu'il est impossible de communiquer en si peu de mots. Disons simplement qu'ils laissent entrevoir ce que l'humain et la culture (donc la nature) peuvent créer de libérateur s'ils s'affranchissent des schémas autoritaires et spectaculaires et de leurs dérives.

Il faut dire que l'état s'est piégé lui-même: le climat de terreur et l'arsenal répressif anti-opposants a rendu la population de la ville hostile au sommet et a facilité la sympathie et parfois la solidarité active envers les manifestantEs. Beaucoup, dont l'auteur de ce texte ont vu ce qu'ils n'espéraient pas: la diversité et le nombre de personnes sur les lieux d'affrontement et autour, la solidarité des résidentEs y compris avec les black blocks, l'effritement tranquille du gros cortège syndical et la présence solidaire de certains locaux syndicaux, une libération de la parole habituellement encadrée par les normes marchandes du troupeau humain que nous sommes, une incroyable première expérience manifestive pour certainEs. Bref un "empowering" qu'aucun sabotage réformiste, médiatique ou policier n'a pu contrôler: on ne peut domestiquer totalement ce qui est organique...

Et les motivations profondes des personnes militantes et/ou manifestantes ? impossible à cerner clairement mais on peut avancer qu'elles étaient de l'ordre du refus (ZLEA et ses conséquences sociales, environnementales, éducatives..., capitalisme, économie techno-industrielle, patriarcat, impérialisme occidental, consumérisme, étatisme etc.) ainsi que du désir de contre-projets et de lieux de résistance-expérimentations, certaines personnes avaient en tête des projets élaborés faisant référence à certains courants sociaux précis, d'autres avaient un discours idéologiquement très hétérogène et puisaient leur inspiration et leur imaginaire à plusieurs sources: abolition de la propriété privée capitaliste et étatique, autogestion des entreprises, anarcho-syndicalisme, réforme agraire et luttes révolutionnaires latino-américains, désobéissance civile "passive" ou confrontation "active", primitivisme et vie en communautés autosuffisantes, individus inspirés par les mouvements révolutionnaires afro-américains, communalisme anarchiste, sentiment d'étouffement dans la société de consommation, séparatisme québécois, socialisme autoritaire néo-marxiste, syndicalisme étudiant, féminisme radical, autonomie des peuples autochtones, écologie radicale, zones autonomes temporaires, lutte artistico-poétique, déconstructionnisme etc. Ceux-ci n'ont pas été sujet de discussions collectives, encore moins de tentatives d'unification chacunE cultivant sa-ses propre(s) vision(s) alternative(s) plus ou moins élaborées.

Et maintenant ?
Les mois à venir seront une bonne épreuve pour la CLAC, CASA et les différents groupes anarchistes ou autonomes: sauront ils poursuivre les efforts au sein des communautés locales et dans les différents espaces de résistance, bref être un mouvement social ? ou céderont ils à la facilité des rivages connus en restant, pour citer l'anarchiste et révolutionnaire afro-américain Lorenzo Kom'boa Ervin, "un mouvement de contre-culture pour la jeunesse blanche" (2) ?
Sauront ils échapper aux manœuvres des politiciens néo-keynésiens ou nationalistes qui tentent déjà de récupérer la mobilisation radicale de québec et le sentiment de malaise au sein de l'immense majorité politiquement passive?
Les expériences passées et présentes tendent à montrer que la vigilance et la non-collaboration avec les structures socialistes autoritaires sont nécessaires.

Dans le même temps les groupes et individus non autoritaires et non réformistes éviteront ils les replis sur un corpus dogmatique rigide ou sur un seul terrain de lutte (syndical, communaliste, écolo, lutte de classiste, féministe, anti-impérialiste, queer, autochtone, culturel....) ?
L'opposition artificielle et potentiellement destructrice entretenue par l'anarcho-autoritaire Bookchin entre "Lifestyle Activism" et "Social Activism" (4) est exemplaire de la capacité du mouvement anarchiste occidental à se perdre dans des archaïsmes sectaires...

Mots à maux
Le mouvement radical occidental et particulièrement anarchiste va t'il se satisfaire de la terminologie et du cadre conceptuel de la vraie-fausse guerre froide occidentale opposant capitalistes néoclassiques-libéraux et réformistes-néokeynésiens ? l'internationalisme libertaire et révolutionnaire sera t'il audible parmi les grandes gueules autoritaires ?

L'anarchisme, d'essence européenne, va t'il s'ouvrir aux réalités, conflits et rêves non-occidentaux, être international au-delà du discours militant, risquer d'être en partie redéfini ?
Le problème est il vraiment "la mondialisation" ? Ce terme a t'il seulement un sens ???

Les mots-concepts suivants avec leur part de réel ou de virtuel seront ils affirmés, questionnés, étudiés: "globalisation" , "extension de la sphère marchande", "propriété privée", "impérialisme", "néocolonialisme", "civilisation techno-industrielle" , "suprématie blanche", "pensée unique" , "société du spectacle" , "patriarcat" ?

Tenterons-nous envers et contre tous de les faire vivre au(x) cœur(s) de nos cultures-natures dévastées, parcellisées, médiatisées, colonisées ?


"62 - Le faux choix dans l'abondance spectaculaire, choix qui réside dans la juxtaposition de spectacles concurrentiels et solidaires comme dans la juxtaposition des rôles (...) qui sont à la fois exclusifs et imbriqués, se développe en lutte de qualités fantomatiques destinées à passionner l'adhésion à la trivialité quantitative. Ainsi renaissent de fausses oppositions archaïques, des régionalismes ou des racismes chargés de transfigurer en supériorité ontologique fantastique la vulgarité des places hiérarchiques dans la consommation. Ainsi se recompose l'interminable série des affrontements dérisoires mobilisant un intérêt sous-ludique, du sport de compétition aux élections. Là où s'est installée la consommation abondante, une opposition spectaculaire principale entre la jeunesse et les adultes vient en premier plan des rôles fallacieux: car nulle part il n'existe d'adulte, maître de sa vie, et la jeunesse , le changement de ce qui existe, n'est aucunement la propriété de ces hommes qui sont maintenant jeunes, mais celle du système économique, le dynamisme du capitalisme. Ce sont des choses qui règnent et qui sont jeunes; qui se chassent et se remplacent elles-mêmes." Guy Debord, La Société du Spectacle


(1) Rassemblement pour l'Alternative Politique: assemblage de groupes généralement autoritaires, cooptables et politiciens: sociaux-parlementaristes, marxistes-léninistes, écolos-gestionnaires, trotskistes, nationalistes...
rap@cybernaute.com BP 32035, succ. Les Atriums, Montréal, Qc H2L 4Y5
http://www.cybernautre.com/rap/rap.html

(2) "Face au néolibéralisme, un projet de société alternatif: la nécessité de l'unité de la gauche politique et des forces progressistes" 26-27-28 mai 2000 - Colloque organisé par le RAP qui invitait différents groupes et individus, certains progressistes (RAJ, SEL, Ao!) d'autres nettement moins ... (Attac québec, CSN, FTQ, Le parti communiste du québec, parti de la démocratie socialiste, parti marxiste-léniniste du québec...)

(3) "I even doubt that it is a social movement at all, but rather a White youth counter-cultural scene" extrait de: Anarchism and Racism, Lorenzo Kom'boa Ervin, premier numéro du Journal de l'anarchie et de la révolution noire.

(4) Pour une critique de Murray Bookchin, lire entre autre la cinglante revue littéraire par Jason Mc Quinn jmcquinn@coin.org (revue Anarchy numéro 51 printemps-été 2001) de l' ouvrage de Bookchin: "Anarchism, Marxism and the future of the Left". Lire aussi la critique d'Alan Antliff "l'anarchisme centré sur le mode de vie", Journal Rebelles (québec) No 51, hiver 2001.
Pour un point du vue sympathique à Bookchin lire: Anarchisme, Normand Baillargeon, éditions l'île de la tortue, Montréal, 1999.
Textes bientôt disponibles sur le site http://alternativemedia.multimania.com.