arch/ive/ief (2000 - 2005)

Faut-il soutenir le commandant Massoud?
by Mao Ning Wednesday April 18, 2001 at 10:03 AM
mao.ning@caramail.com 32-2-5040154 Bd. Lemonnier, 171 / B-1000 Bruxelles (Belgium)

Reçu le 8 avril par Louis Michel, le leader afghan Ahmed Shah Massoud est venu mendier l'appui financier de l'Europe en faveur des forces de la ‘coalition du Nord' opposée aux Talibans. Le ministre belge des Affaires Etrangères lui a promis un large soutien. Est-ce vraiment raisonnable?

Tournée européenne d’un leader afghan

Faut-il soutenir le commandant Massoud?

Reçu le 8 avril par Louis Michel, le leader afghan Ahmed Shah Massoud est venu mendier l’appui financier de l’Europe en faveur des forces de la ‘coalition du Nord’ opposée aux Talibans. Le ministre belge des Affaires Etrangères lui a promis un large soutien. Est-ce vraiment raisonnable?

Mao Ning

L’histoire de l’Afghanistan, ce pays d’Asie centrale enclavé et convoité par les grandes puissances russe, américaine et européenne, a été marquée par des conflits incessants. Quand les Soviétiques se retirent en 1989, après dix années de guerre, les groupes armés par les USA s’emparent du pays. Deux factions émergent. Celle dirigée par Massoud, allié des Américains, et celle de Gulbuddine Hekmathiar. Ces deux hommes ont pourtant un dénominateur commun. Ils ont été parrainés par Washington et l’Arabie Saoudite pendant des décennies. Mais l’amitié qui lie Hekmathiar à l’Iran embarrasse les USA, qui débutent alors un plan d’investissement de 450 milliards de FB en vue de construire des gazoducs dans la région.(1)

Liaisons dangereuses

Pour se débarrasser de lui, l’administration Clinton déniche dans ses relations le prince saoudien Turki Ibn Fayçal, chef des services secrets de son pays. Celui-ci a chargé, voilà deux décennies, un milliardaire du pays d’organiser les convois de volontaires arabes pour combattre les Soviétiques en Afghanistan: Oussama Bin Laden (2) . Ce dernier est ‘réactivé’ et chargé par les Américains de lever une armée contre le nouveau pouvoir afghan. De 1994 à 1997, les Etats-Unis vont alors armer les Talibans via le Pakistan.(3) A cette époque déjà, le Maison blanche a pleinement conscience d’avoir affaire à des fanatiques religieux (4) , qui financent leurs campagnes militaires par la production de drogue. Mais cela ne semble pas déranger les diplomates américains, qui relèvent trois atouts des Talibans. Primo, les pipelines de la multinationale Unocal passeraient par le territoire afghan. Secundo, l’influence locale de l’Iran serait éclipsée.(5) Tertio, cela renforcerait le soutien aux mouvements fondamentalistes et indépendantistes (Chine, Tchétchénie, Ouzbékistan et Tadjikistan)(6) . Pour raffermir leur autorité, les Talibans se profilent d’abord comme des religieux rigoristes, puis jouent la carte des rivalités ethniques. Issus de la majorité pachtoune, ils n’ont aucun mal à diriger les opérations contre les minorités religieuses (chiites hazaras) et les minorités ethniques que sont les Ouzbeks et les Tadjiks du commandant Massoud. En 1998, les Talibans prennent possession des principales villes du pays, mais contre toutes les prévisions, la lune de miel avec les Américains est rompue. Il s’avère alors que le Pakistan a fait volte-face…

 

Le bogue pakistanais

Principal allié des Américains dans la région, le Pakistan connaît en effet une crise économique sans précédent (7) . Or, les Etats-Unis estiment n’avoir aucune dette à payer au Pakistan pour ses bons services. Conséquence: un renversement d’alliance par lequel les généraux pakistanais retournent les féroces Talibans contre les intérêts occidentaux. Cela débouche en août 1999 sur le bombardement de l’Afghanistan par les Etats-Unis, signe que l’amitié liant Washington aux Talibans est révolue. Et en octobre 1999, le Premier ministre du Pakistan, Mian Nawaz Sharif, est renversé par ces mêmes généraux pakistanais, qui le condamnent à l’exil. Les contrats des firmes pétrolières sont rompus, les Occidentaux indésirables.

 

Epilogue provisoire

Depuis, nous assistons à un spectaculaire renversement des alliances. En effet, les Etats-Unis qui ont contribué au renversement de Massoud et ses amis, se remettent à le soutenir. La brutalité du régime des Talibans est (enfin) dénoncée. Mais ce n’est que pure hypocrisie. Il ne viendrait effectivement à personne l’idée de dénoncer le double jeu de l’impérialisme américain. A aucun moment, les médias ne se sont vraiment soucié du sort de la population, si ce n’est aujourd’hui et cela parce que les intérêts de l’Amérique sont en jeu. Massoud n’est pas un ange, pas plus que les autres meneurs dans cette affaire. Soutenir Massoud aujourd’hui, c’est soutenir les desseins des stratèges américains qui n’ont jamais cherché les «droits de l’Homme» ou la « démocratie», mais bien à préserver leurs intérêts dans la région. Cette région du monde n’a été que trop meurtrie par la guerre. Une attitude conséquente pour tout un chacun est de dénoncer les agissements des USA depuis plus de vingt ans dans la région.

 

Notes :

1Far Eastern Economic Review, 17/09/1998 • 2 L’Humanité Hebdo, 11/03/2001 • 3 Far Eastern Economic Review, 05/08/1999 • 4 Wall Street Journal, 31/08/1999 • 5 Far Eastern Economic Review, 11/05/2000 • 6 Far Eastern Economic Review, 05/08/1999 • 7 NRC Handelsblad, 17/04/1998