Harmonisation des cursus dans l'enseignement supérieur en Europe by FEF, Fédération des Étudiant(e)s Francophones Saturday March 17, 2001 at 08:33 PM |
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La prise de position de la Fédération des Étudiant(e)s Francophones (FEF) sur l'harmonisation européenne de l'enseignement supérieur. Plus d'info sous peu sur le site de la FEF (http://www.fef.be/)
« Harmonisation des cursus dans l’enseignement supérieur en Europe »
Note adoptée par le Conseil fédéral de la Fédération des Étudiant(e)s Francophones le 15 mars 2001
A. Introduction
La Fédération des Étudiant(e)s Francophones reste attentive à l'évolution de la construction européenne, en particulier dans les domaines qui touchent à l'enseignement. Les thèmes défendus par la FEF demeurent centrés autour de la défense de la démocratisation de l'enseignement supérieur. En effet, dans sa conception de l'enseignement, qui doit être un processus d'acquisition de connaissances, de formation critique, d’épanouissement personnel et de promotion de l'égalité et de la justice sociale, la FEF est convaincue de la nécessité d'encourager les échanges culturels et académiques entre tous les étudiants. Dans ce cadre, la construction d'un espace européen ne peut se concevoir sans une facilitation de la mobilité des étudiants, ainsi qu'une politique positive en matière d'équivalences de diplômes.
C'est pour ces raisons que la FEF est interpellée par la façon dont se déroulent actuellement les projets de réformes de l'enseignement supérieur dans notre pays, et plus largement au niveau de 29 autres pays européens. Néanmoins, la FEF se félicite de la volonté déclarée de promouvoir la mobilité et l’approfondissement des relations entre les étudiants européens.
Enfin, et vue du sommet qui se déroulera à Prague le 18 et 19 mai 2001 et de la conférence préparative de Salamanque y consacrée le 29 et 30 mars 2001, la FEF souhaite exprimer ses craintes face aux dérives de cette réforme.
B. Contexte des réformes
Sans préjuger de la bonne volonté des signataires de la Déclaration de Bologne, la FEF porte son attention sur le contexte communautaire, européen et mondial dans lequel s'inscrivent les réformes proposées dans l'enseignement supérieur.
B1. La privatisation de l'enseignement
Pour les défenseurs de l'accès du plus grand nombre à l'enseignement et au savoir, il est inquiétant, de constater les pressions de plus en plus fortes des entreprises, organisées en lobbies, sur le monde de l'enseignement en Europe. À ce propos, nous épinglons divers avis et propositions de puissantes associations patronales, ainsi que de la Commission européenne, arguant en faveur d'un rapprochement toujours grandissant entre l'enseignement et le secteur privé.
En outre, le calendrier des discussions au sein de l'OMC prévoit, dans le cadre de l'AGCS , l’AMI mutant, la privatisation de services publics tels que les soins de santé, et l'enseignement. Loin de rassurer les étudiants, les déclarations des ministres européens de l'enseignement à la Sorbonne (1998) et à Bologne (1999) confirment à nos yeux cette dangereuse lame de fond en faveur du démantèlement des services publics tels que l'enseignement. À tout le moins, celles-ci n'apportent aucune garantie quant à d'éventuelles dérives mettant en danger la construction d'un enseignement démocratique et libre d'accès.
B2. L'absence de concertation
La FEF regrette, comme elle l'a déjà affirmé lors de la Déclaration conjointe des étudiants à Bologne, l'absence totale de consultation et de concertation des étudiants lors de la rédaction et de la définition des objectifs des déclarations de la Sorbonne et de Bologne. Ceci représente un écueil important en terme de transparence et de démocratie, d'autant plus que la FEF est une organisation représentative des étudiants reconnue au niveau communautaire. Au delà de la simple association des différents acteurs concernés, tout projet de réforme de l’enseignement supérieur doit faire l’objet d’un large débat public et démocratique sur ses missions et les moyens de les rencontrer.
C. Critique des mesures proposées
C1. Financement
« L’Etat prendra des engagements financiers conséquents pour permettre aux établissements de mener à bien une véritable projet de développement. » Qu’on se le dise ! Un des principaux combats de la FEF est le refinancement de la Communauté française afin que l’enseignement supérieur puisse (re)devenir une préoccupation centrale du politique et puisse répondre à l’attente des étudiants. En effet depuis plusieurs années, les préoccupations sont essentiellement d’ordre budgétaire au détriment de la qualité de l’enseignement. Il est urgent que l’on abandonne le système de financement actuel et que l’on donne à la Communauté française les moyens de remplir sa mission. Les réformes en vue ne feront que peser plus lourd sur le budget de la Communauté française: nous souhaitons, au moins, qu’elle ait les moyens de financer ce pourquoi elle s’engage, dans l’optique de préserver l’enseignement comme service public. D’ailleurs, la FEFsouligne que cette position s’harmonise bien avec les recommandations du Comité des Ministres de l’Union Européenne du 17 mars 1998.
Nous sommes également d’avis que la recherche doit rester un des objectifs de l’enseignement supérieur mais nous craignons des dérives à partir du moment où elle serait en grande partie financée par des entreprises. En effet, il serait inadmissible que ces interventions mènent à long terme à une privatisation de certains secteurs de l’enseignement. Il serait intolérable que les priorités en matière de recherche fondamentale soient dictées par la seule loi du marché. La recherche doit rester indépendante pour que les revendications de savants tels que Oppenheimer gardent tout leur sens et que la science ait une conscience.
Enfin, la volonté de supprimer, à terme, le financement public et de le substituer par le privé, nous fait craindre l’instauration d’une logique de marché, où les étudiants seront considérés comme des clients qui recourent à un service que l’université leur fera payer au prix fort.
Cette logique nous pousse à nous questionner sur l’avenir des filières « non-rentables », notamment en sciences humaines. Ne présentant aucun « intérêt » au yeux du privé, seraient-elles purement et simplement supprimées ?
Par ailleurs, le retrait du financement public aurait un effet néfaste sur le montant des minervals. En effet, l’étudiant serait ainsi obligé de compenser ce que l’Etat ne payerait plus pour lui. Ainsi, des minervals exorbitants deviendraient une réalité. D’autres entraves à l’accès, tel le conditionnement de l’accès à l’enseignement à l’obtention de grades académiques ou à l’instauration de quotas, sont tout aussi inacceptables, en ce compris pour le second cycle. Cette évolution est évidemment inadmissible de par les répercussions catastrophiques qu’elle aurait sur la liberté d’accès à l’enseignement.
C2. Conception de l’enseignement
La FEF pense que l’enseignement supérieur doit se concevoir dans le cadre d’un projet de vie au sein duquel l’activité professionnelle ne constitue qu’un pôle. En effet, il ne faut pas négliger d’autres pôles tels que la culture et l’attitude citoyenne. L’enseignement supérieur doit développer l’articulation entre le savoir, le savoir-faire (compétences pratiques) et le savoir-être (attitude citoyenne, déontologie, épistémologie,…). La volonté actuelle de centrer les études uniquement sur les exigences du marché du moment mettent en péril cette vision générale de l’enseignement supérieur. Nous pensons également que la prétendue croissance de la compétitivité entre institutions d’enseignement supérieur constitue une manière erronée d’approcher le secteur de l’enseignement . En effet, en tant que bien public, l’enseignement devrait rester en dehors de toutes considérations mercantilistes.
Dans la même logique, la volonté de certains de créer et de promouvoir des « pôles d’excellence » nous paraît être une exacerbation de cette logique marchande et concurrentielle. Un classement des universités serait ainsi établi et certains diplômes seraient dévalorisés. Aujourd’hui, les diplômes délivrés par les différentes institutions sont reconnus de façon égale : cela ne serait plus le cas en pratique. Il y a un risque de regroupement des institutions dans des « pôles », ce qui serait une menace pour l’accessibilité géographique des institutions d’enseignement supérieur.
D. Problématique de la réforme des cursus
D1. Dans les universités.
Comme énoncé plus haut, la FEF n’est pas favorable à une professionnalisation de la formation dans le sens où elle tendrait vers une spécialisation à outrance du cursus, spécialisation faite de compétences plutôt que de connaissances ; alors qu’il est pour nous évident que c’est vers un équilibre entre les deux que de tendre l’enseignement supérieur.
Dans le système belge, des études en Haute Ecole, plus professionnalisantes, mettant plus l’accent sur la pratique, co-existent avec les universités, plus théoriques et laissant plus de place à la recherche. Nous avons ainsi des formations universitaires en 4, 5 ou 7 ans suivant l’orientation.
Nous pensons donc que la refonte, à terme, des années d’études en modules capitalisables pourrait être profitable à l’étudiant. Cela permettrait d’accroître son indépendance et donc, corrélativement, le responsabiliser. Mais cette technique offre encore de multiples avantages : flexibilité, souplesse dans l’organisation des études, le rythme des études n’est plus aussi pressant (une interruption des études pour quelques années devient une possibilité réelle), favorise l’interdisciplinarité, pluridisciplinarité, facilite le développement d’un regard critique sur l’articulation théorie-pratique, lutte efficacement contre l’échec, etc.
Les modules permettraient à un public plus large un accès libre à l’enseignement supérieur car ils inscrivent les études dans un cadre de vie, un processus dont l’étudiant maîtrise le rythme.
Si tout le système de formation serait repensé en terme de modules, pourquoi encore se raccrocher aux vieux principes d’années d’études ? Les actuels 3ièmes cycles pourraient donc être envisagés comme des modules de spécialisation auxquels on ne pourrait avoir accès que si l’on a été certifiés pour un certain nombre de modules de formation au préalable. Les niveaux de bachelor, master ou doctorat pourraient être envisagés suivant des échelles de modules plutôt que des années d’étude. (ce paragraphe n’a pas encore été approuvé par le Conseil fédéral et devra l’être après reformulation en Groupe de Travail selon les termes du débat du CF. Le Bureau fédéral du 22/3 approuvera la note de façon définitive).
Néanmoins, cela suppose un système efficace de crédits. La déclaration de Bologne mentionne le développement des ECTS : si cela peut procéder d’une logique acceptable, le risque est bien réel de voir ces crédits servir uniquement à segmenter ce qui risque de devenir un « marché » pour le rendre attractif aux créateurs de contenus venant du secteur privé, contenus qui seraient validés par un mécanisme encore inconnu). La modularisation des études que la FEF préconise est un projet beaucoup plus vaste, visant à l’adaptation du cursus au rythme de l’étudiant, à la lutte contre l’échec dans une optique positive et à l’interdisciplinarité, ce qui est loin d’être le cas ici.
Ce système de division des cursus en petites unités est aussi très préoccupant quant à la possibilité qu’il ne laisse pas d’organiser des cours sur un moyen terme, permettant l’approfondissement des contenus et de développement d’une réflexion construite par rapport à eux.
Un système de contrôle de qualité (p.ex. d’accréditation) doit absolument être envisagé. Pour garantir son indépendance et son caractère démocratique et transparent, il est nécessaire que ce système reste public. Il faut veiller également à ce que ce système d’accréditation soit un gage de qualité mais pas un vecteur d’uniformisation complète des contenus d’enseignement dignes d’êtres dispensés.
D2. Dans les Hautes Ecoles
(NB : L’ensemble de ce paragraphe est encore à approuver).
Nous disposons actuellement d’un système de formation en type court (3ans) et de type long (4 ans) de niveau universitaire mais non-académique. Ce système serait voué à disparaître. En effet, on souhaite créer un diplôme unique, en 3 ans appelé bachelor, qui serait « capitalisable » sur le marché de l’emploi. Pour certains, un second cycle serait possible et délivrerait le titre de master. La réforme envisagée met clairement en danger la reconnaissance des titres de bachelor délivrés dans les Hautes-Ecoles, qui à nos yeux ne seront jamais reconnus comme l’équivalent des titres de bachelor délivrés par les universités, mais reléguée au deuxième rang . Ces formations, même si elles sont plus professionnalisantes, ne peuvent en aucun cas être dévalorisées et doivent trouver leur place dans le nouveau système européen.
La réforme ne fera que réduire le nombre de passerelles existantes. Les universités seront tentées de favoriser les bachelor issus du premier cycle de leur institution. On se dirige donc vers une institutionnalisation de cette différenciation entre les deux types de diplômes, au lieu de la réduire, tout en en gardant les spécificités. Idéalement, il faudrait que les candidatures actuelles et les graduats soient perçus de façon non-discriminatoire. Le processus actuel rendra cet objectif encore plus difficile à atteindre, contrairement aux apparences.
Les passerelles avec le type long ou les modules à l’université doivent être développées pour favoriser la pluridisciplinarité. On évitera ainsi de faire les traditionnelles différences de « valeur » des titres délivrés par les universités et les Hautes-Ecoles.
En conclusion, il s’avère donc que les Universités seront « perdantes », car l’essence même des candidatures (préparer aux licences) va disparaître avec le bachelor. Les Hautes Ecoles, quant à elles, ne seront pas gagnantes, car une de leurs spécificités (préparer à l’exercice pratique d’une activité professionnelle) va être « happée » par les universités ; quant aux autres, elles risquent d’être niées.
La FEF plaide donc pour le maintien de la diversité des enseignements supérieurs en Communauté française, en Belgique et en Europe.
E. Quant à la mobilité
La FEF se réjouit de la mobilité promise aux étudiants. Cependant, le concept étroit de mobilité consistant en une simple amélioration de l’adéquation de l’offre à la demande sur le marché du travail ne constitue pas une fin en soi. Il est primordial d’encourager les échanges culturels, intellectuels et sociaux que se doit d’induire l’idée de mobilité. En effet, c’est par l’ouverture aux autres, aux autres cultures que les savoirs et les connaissances se sont transmises aux travers des siècles. A l’aube du 21ième siècle, ce constat reste, malgré tout, d’actualité.
Néanmoins, deux points nous paraissent avoir été insuffisamment pris en compte :
· Pour qui, cette mobilité ?
Nous craignons que cette mobilité ne soit, une fois de plus, réservée qu’à ceux qui pourront se la permettre financièrement. Certains rapports font état de l’instauration d’une obligation de passer au moins un semestre à l’étranger durant ses études. Comment cet exil (ô combien bénéfique) sera-t-il financé ? Par qui ? Cette obligation vaudra-t-elle pour les bachelor ou uniquement pour l’élite de l’élite, càd les master fortunés ? De plus, le risque d’une approche méritocratique existe, qui tendrait à réserver les nouveaux pôles d’excellence aux meilleurs étudiants.
· Quid des étudiants hors-UE ?
La mobilité sous-entend un octroi immédiat et automatique des équivalences. Le système ECTS , que la déclaration de Bologne dit vouloir promouvoir, prévoit ce mécanisme. Mais, actuellement, l’octroi d’une équivalence entre les différents Etats européens n’est déjà pas fort aisée et des refus d’équivalence sont régulièrement constatés. Néanmoins, l’inconnue principale réside dans le statut qui sera octroyé au étudiants hors-UE. L’obtention d’une équivalence relève déjà de l’exploit mais réussir à faire reconnaître dans un Etat européen l’équivalence obtenue dans un autre Etat européen relève du miracle. Les équivalences octroyées par la Communauté Flamande ne sont pas toujours reconnus par la Communauté française ! Inutile donc de préciser, que la FEF s’inquiète du statut qui leur sera réservé car ces étudiants pourraient se voir refuser les bienfaits de la mobilité européenne.
Comme les fédérations et syndicats d’étudiants européens l’ont rappelé lors de la « Déclaration de Bologne des étudiants » , la FEF plaide également, afin de remédier au problème imaginaire de manque d’attractivité des universités européennes, de permettre un accès plus large des étudiants hors-UE à nos systèmes d’enseignement supérieur.
F. Autres problèmes posés par les réformes
· La réforme dite du "3-5-8"
1. Diplôme professionnalisant en 3 ans ou "bachelor":
- quelles solutions "professionnalisantes" pour des filières universitaires en sciences humaines?
- quelles méthodes de réorganisation pratique des cursus universitaires, présentant des candidatures en 2 ans?
2. Maîtrise en 5 ans ou "master":
- poids financier de l'année supplémentaire pour l'étudiant
- quel accès : accès réel ou prise en charge par les entreprises ?
3. Doctorat en 8 ans:
- financement de secteurs "non-rentables", et de la recherche fondamentale
- Doctorat en trois ans : mise sous pression du Doctorat.
4. Quelle spécificité pour la préservation de l’enseignement dans les langues nationales ?
· Le système des modules capitalisables, ou ECTS
- quelle accréditation publique pour l'équivalence des modules?
· Les échanges d'étudiants au niveau européen
- quelles garanties de promotion des aspects sociaux, culturels et linguistiques ?
G. Conclusion
La FEF refuse la logique mise en place à l’heure actuelle. En effet l’absence de toute concertation avec les organisations représentatives des étudiants hypothèque la tenue d’un débat constructif. En outre, nous demandons des garanties fermes quant à liberté d’accès à l’enseignement, quelles que soient les mesures proposées. Ceci implique une réponse de la part des pouvoirs publics quant au financement de ces réformes, ainsi qu’une garantie d’accréditation publique concernant la proposition des modules capitalisables.
La Fédération des Etudiant(e)s Francophones rejette la Déclaration de Bologne et toutes les réformes s’y rapportant, en réclamant une réouverture du débat sur la création d’un espace de l’enseignement supérieur européen sur une base plus large, en concertation avec tous les acteurs du monde de l’enseignement supérieur en Europe, sur la base des principes que sont la liberté d’accès, la qualité et la promotion de la réussite, la participation des étudiants, un financement public adéquat et la conception de l’enseignement en tant que bien strictement public.