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Le Nazisme (une fois de plus) au service des industries
by Anthony Yeboah Monday March 12, 2001 at 11:43 AM
anthony.yebo@mail.be

Le néo-libéralisme social-démocrate qui gère nos existences n'est pas le premier à recourir à l'épouvantail du nazisme pour écarter les critiques et protéger ainsi son développement intrinsèquement nuisible. Les cigarettiers, avant de recourir méthodiquement à la contre-expertise et à la mauvaise foi, ont su exploiter la grande faiblesse de l'imaginaire collectif européen (et allemand en particulier) pour occulter les preuves scientifiques de leurs nuisances.


Une étude de 1943 démontrait que les fumeurs s'exposaient seize fois plus au risque de cancer du poumon.


"Fumer est mauvais ? Hitler aussi le prétendait"

Les premiers à découvrir le lien entre le cancer du poumon et l'habitude de fumer, étaient des chercheurs allemands qui travaillaient sous le régime nazi. Ils expérimentaient alors l'influence de la cigarette sur des souris, des rats et des lapins. Leur appartenance au nazisme, l'industrie du tabac n'a pas manqué d'en faire habilement usage : "Fumer est mauvais ? Hitler aussi le prétendait".

Les nazis ne voulaient pas seulement purifier leur race, mais aussi leur nourriture, l'eau et l'air, écrit Robert Proctor, historien à l'université de Pennsylvanie dans The International Journal of Epidemiology. Fumer fut donc considéré comme une menace pour la race aryenne, et Hitler, Franco et Mussolini étaient souvent cités comme modèles d'hommes véritables. Ils ne fumaient pas, à l'opposé des chefs des alliés : Churchill, Roosevelt et Staline.
Hitler était peut-être un homme en bonne santé, mais parce qu'il développa ensuite des idées malsaines, tout le travail scientifique qui avait été accompli sous son régime fut oublié ou tenu pour suspect. Ce fut également le lot réservé à Schairer et Schöniger, deux pionniers qui découvrirent en 1943 le lien entre le cancer du poumon et l'habitude de fumer. D'autres causes, qui étaient alors considérées comme au moins aussi valables, étaient les gaz d'échappement des automobiles, les lésions pulmonaires ou la grippe. Même l'influence du mélange de races ou l'emploi d'armes chimiques durant la première guerre mondiale étaient répertoriés comme nuisances possibles.

Mais l'étude des deux Allemands démontrait que les grands fumeurs avaient seize fois plus de chance de contracter un cancer du poumon, là où les non-fumeurs n'attrapaient le cancer du poumon qu'exceptionnellement. Les conclusions sont identiques dans la célèbre étude de l'Anglais Richard Doll, généralement présenté comme le premier scientifique à avoir révélé les risques du tabac. Seulement, il y avait l'image du chercheur travaillant sous le régime nazi, indissociablement lié aux expérimentations sur les Juifs façon docteur Mengele, au point que leur avis tombât en discrédit. À tort, remarque le fils de Schairer dans une lettre à The International Journal of Epidemiology : "Mon père recevait des morceaux de tissu pour expertise dans des grandes enveloppes envoyées de l'étranger. À nous, ses fils, il donnait des timbres pour que nous puissions les collectionner".

La conséquence du travail de Schairer en Schöniger était comme l'écrit Proctor "qu'ils ont — en Allemagne tout particulièrement — retardé de quelques dizaines d'années l'avènement de mesures anti-tabac. L'Allemagne affiche aujourd'hui le plus mauvais chiffre dès qu'on en vient à sa consommation de tabac, chiffre qu'affichaient déjà les Allemands qui posèrent les bases d'une étude approfondie des problèmes de santé causés par le tabac. Que ce soit en Europe et aux États-Unis, les entreprises ont essayé de faire de l'argent sur l'argument nazi, en comparant l'interdiction de fumer avec une décision nazie. Une interdiction stricte ne s'accordait pas non plus pour le mieux avec avec la libre morale des années 60-70".
"Les nazis avaient également très peur des couleurs. Ils éprouvaient une paranoia quasiment maladive, une véritable terreur pour les particules qui, imperceptibles, pouvaient infecter ou affaiblir le corps social (hetVolkskörper)", écrit Proctor. Mais ce que leur bonne pensée ne rendait pas moins malsain, c'est qu'ils étaient sensiblement moins soucieux des poumons de Juifs que ceux de la race aryenne.

Katrijn Serneels, De Morgen, lundi 5 mars 2001
Traduction de Jean Lebel