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Avancées - le dernier n°: Belgique, an 1973, la dictature?
by (posted by Fred) Wednesday January 31, 2001 at 12:05 PM
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La revue mensuelle "Avancées" a cessé de paraître. Son numéro de janvier, bien que prêt, n'est pas sorti dans les librairies. C'est pourquoi Indymedia, à la demande d'"Avancées", a décidé de publier l'entièreté de ce numéro ultime sur internet. Voici "Belgique, an 1973, la dictature" dans la rubrique "Les années de plomb".

Les Années de Plomb

Belgique, an 1973, la dictature?

Selon des archives officielles, des enquêtes détaillées et des témoignages dignes de foi, vers 1973, un réseau clandestin a programmé un putsch militaire dans notre pays. Récemment, un «acteur» de ces «années de plomb» belges s'est encore exprimé à ce sujet. Comme Avancées, depuis plusieurs années. Et le journaliste Walter De Bock, que nous avons rencontré (voir interview).

Il y a quelques mois, le quotidien libéral La Dernière Heure publiait à sa Une un titre accrocheur et inquiétant: «La Gendarmerie a préparé un coup d’Etat!» (1). Réalité ou rumeur? Fantasme ou vérité? Serait-on une fois de plus tombé dans le panneau? Victime du phénomène, bien connu à l’extrême droite, de la croyance aveugle dans le «complot occulte»? Avons-nous grossi les rêves de conspiration de hauts gradés de l’Armée belge adeptes d'une méthode plus virile pour mater la rébellion gauchiste post-soixante-huitarde et faire barrage au démantèlement du pays? C’est possible.

Cependant, une chose est sûre, plusieurs éléments concordant établissent ce scénario bien connu des «républiques bananières». Nous étions à l’époque au début des années septante. En Espagne, au Portugal et en Grèce, les forces militaires régnaient. Le «mode d’emploi» de ces dernières pour prendre le pouvoir fut le modèle de leurs amis belges de l’ultradroite. Sous l'œil complice de l'Oncle Sam.

Un ex-gendarme se met à table

Les dernières révélations de La Dernière Heure (DH) se basent sur le témoignage de Christian Amory. Ce n'est pas la première fois que cet ancien de l'Escadron spécial d'intervention (ESI) de la gendarmerie (lire Avancées, octobre 1998, p. 27) dévoile des informations détaillées à propos de ce projet de coup d'Etat. Il donnera le nom de code de ce plan, "l'Opération bleue». Un nom qui fut souvent cité lors des travaux d'auditions des deux commissions parlementaires d'enquête sur le banditisme et le terrorisme. Dans l'interview accordée à la DH, Amory avance plusieurs informations détaillées (avec des noms, des dates, des lieux). Il affirme que l'ESI était entièrement impliqué dans ce projet fou. Voici quelques extraits de l’entretien DH-Amory.

A la date convenue par les conspirateurs, nous avons été mis en stand-by de 24 heures (…). Nous étions mobilisés pour un coup d'Etat. Notre objectif était de prendre le Parlement. Par la suite, j'ai appris que ce jour-là, tous les MP chargés de sa protection avaient été désarmés. Sous prétexte que l'un des leurs s'était suicidé récemment. Christian Amory poursuit: On a appris par la suite aussi que ce jour-là les blindés avaient fait mouvement d'Allemagne jusqu'à la frontière belge. Que les paras devaient intervenir. Que la gendarmerie avait acheté - hors dotation pour ne pas laisser de traces - des cristaux permettant d'assurer sur le terrain des liaisons radios entre les gendarmes et les militaires. Que ces cristaux ont été retrouvés par la BSR de Bruxelles (…). Que les cibles étaient le Parlement, le Palais royal, la RTBF, les principaux nœuds de communication.

Toutefois, malgré une planification préparée depuis de longs mois et le soutien de plusieurs secteurs du régime, ce scénario antidémocratique n'a pas été mis en œuvre. Une personnalité politique de premier plan devait prendre le pouvoir. C'était le scénario prévu. Deux heures avant, son secrétaire privé l'a informé de ce qui se préparait et du rôle qui lui était offert. Cette personnalité a refusé. Et tout s'est arrêté.

Philippe Créteur, le journaliste de la DH (et ancien militant d’extrême droite) qui a recueilli les propos de Christian Amaury (1), rappela alors qu'en commission d'enquête, le commandant de la gendarmerie de l'époque aurait admis certains mouvements de troupes. C'était des manœuvres, a-t-il expliqué. Quant au nom de ce politicien choisi par ces «cagoulards», un autre témoin de l’époque, contacté voici quelques jours par Avancées, désigna Paul Vanden Boeynants, alors ministre de la Défense nationale.

Enquête personnelle

Christian Amory, pour sa part, après un service actif au sein de l'ESI (1971-1979), un passage à la BSR Bruxelles (1979-1983) et dans la cellule d'enquête sur les tueurs du Brabant, reçut finalement son C4, en 1995. Il faut savoir que ce témoin clé des «années de plomb» belges fréquentait par ailleurs les deux gendarmes Robert Beijer et Madani Bouhouche (lire Avancées, avril 1998, pp. 28-29). Il fut même soupçonné d'avoir été le lien entre ses deux ex-collègues et la bande des Borains (les premiers suspects des tueries du Brabant).

Le nom d'Amory est aussi cité dans des PV ayant trait au vol d'armes commis au QG de l'ESI (1980). Plusieurs de ces armes réapparaîtront dans le cadre des investigations pour retrouver la trace des auteurs des massacres dans les grandes surfaces entre 1983 et 1985. Selon lui, son renvoi de la gendarmerie est lié au fait qu'il s'était intéressé de très près à tous les événements qui ont secoué la gendarmerie ces dix dernières années, car je croyais être dans un milieu très proche de tout cela. J'ai fait ma petite enquête personnelle: les résultats, je les communiquais à l'adjudant Goffinon (Avancées, novembre 1998, p. 25) et à l'Etat-Major.

Silence radio

Suite aux nouvelles révélations publiées dans la DH sur ce projet de coup d'Etat impliquant la gendarmerie et l'Armée belge, le silence radio de ces dernières fut une fois de plus au rendez-vous. A la veille de l’instauration de la police unique, c’est pour le moins inquiétant. D’autant plus que la structure de la nouvelle force de l’ordre est sous la coupe d’une gendarmerie qui n’a pas encore lavé son linge sale. La Belgique est décidément un pays où l'omerta, cette fameuse loi du silence, à encore de longs jours devant elle.

Manuel ABRAMOWICZ

1. Philippe Créteur: «La Gendarmerie a préparé un coup d’état!», in La Dernière Heure du 26 septembre 2000.

 

Putschs et juntes fascistes, les exemples

A l’époque où des militaires, des gendarmes et des hommes d’affaires belges planifièrent une option militariste musclée pour mater la «rébellion» gauchiste et instaurer une dictature, les exemples de juntes militaires européennes au pouvoir étaient nombreux.

Au Portugal, un régime national-catholique autoritaire et corporatiste était déjà en place depuis 1933. Son dictateur, Salazar, avait promulgué une Constitution sur mesure instaurant le concept de l’Etat nouveau, avec un parti unique (l’Union nationale), une milice (la Légion portugaise) et un mouvement de jeunesse pour encadrer et contrôler le peuple. L’église portugaise fut sa complice et au cœur du régime salazariste. En 1974, la «Révolution des Oeillets», menée par des militaires progressistes et anticolonialistes, mit fin à l’Etat nouveau.

Après un putsch militaire contre le gouvernement démocratique et une sanglante guerre civile (1936-1938), le dictateur Franco installa également un régime musclé en Espagne. Grâce au soutien de l’Allemagne nazie et de l’Italie fasciste. Là encore, c’est un parti unique (la Phalange espagnole) qui décidait de tout; avec l’aval du clergé local en général et de l’Opus Dei en particulier. Pour mater la rébellion, au programme: arrestations massives des opposants, ouverture de camps de prisonniers, contrôle de la presse, interdiction des activités syndicales, … Le régime franquiste (mais pas ses «fonctionnaires») sera mis au placard après le décès de son «guide» le 20 novembre 1975.

La Grèce fut pour sa part victime d’un putsch militaire le 21 avril 1967. Une junte conduite par le général Papadopoulos s’installa au pouvoir à Athènes. La Constitution et le système parlementaire furent abolis. La liberté de la presse limitée. Après la défaite grecque à Chypre devant l’armée turque, en 1974, le régime dit «des colonels» est renversé. Les conjurés sont arrêtés et l’année suivante, Papadopoulos est condamné à mort. Plus de 40.000 réfugiés politiques reviennent au pays en 1978.

Ces trois pays européens furent des modèles et des destinations «touristiques» pour l’extrême droite européenne. En effet, plusieurs terroristes néofascistes et autres barbouzes de l’OAS rejoignirent dans leur exil politique les collabos nazis qui y avaient déjà trouvé refuge dès 1945.

A l’époque où les militaires contrôlaient le Portugal, l’Espagne et la Grèce, les offensives démocratiques du type de celle emmenée par un Louis Michel vis-à-vis de l’Autriche n’étaient pas à l’ordre du jour. Pire, ces dictatures furent soutenues par des Etats démocratiques et accueillies sans broncher dans les principaux organismes internationaux. En 1949, le dictateur Salazar figurait parmi les fondateurs de l’OTAN. Six ans plus tard, l’Espagne franquiste bénéficia d’une représentation à l’ONU. Ce sont les Etats-Unis qui jouèrent les protecteurs de ces «républiques bananières», avec l’aide d’un puissant lobby politico-affairiste constitué, en Belgique, de personnalités sociales-chrétiennes et libérales.

M. AZ

 

Lire également, dans Avancées, sur le même sujet:

«L'extrême droite dans l'Etat: un général remonte au front», février 1998, p. 28.

«Vie et mort de Paul Latinus», février 1999, p. 22

«Un chef de l'orchestre noir?», mars 1999, p. 24. 

«Un coup d’Etat en Belgique?», mai 1999, p. 17.

«L'Oncle Sam veille sur la Belgique», mai 1999, p. 19.