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Avancées - le dernier n°: Presse & délation
by (posted by Fred) Tuesday January 30, 2001 at 06:40 PM
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La revue mensuelle "Avancées" a cessé de paraître. Son numéro de janvier, bien que prêt, n'est pas sorti dans les librairies. C'est pourquoi Indymedia, à la demande d'"Avancées", a décidé de publier l'entièreté de ce numéro ultime sur internet. Voici "Presse & délation - la saga des 13 de Clabecq" dans la rubrique "Cité".

Cité

LA SAGA DES « 13 de CLABECQ »

PRESSE ET DELATION

 

Oubliant que communication et information ne font pas toujours bon ménage, la presse dominante a cru bon de se porter au secours de Michel Nollet lors du dernier incident en date de ce qu’il est convenu d’appeler la saga des « 13 de Clabecq ». Transformés pour l’occasion en véritables attachés de presse du président de la FGTB, certains journalistes ont ainsi participé à une entreprise collective de dénigrement. Certains crient déjà au complot. Les convergences sont, en effet, pour le moins troublantes…

Le 22 novembre dernier, suite à la décision de la Cour d’Appel de Bruxelles de redémarrer à zéro le procès des « 13 de Clabecq », ces derniers, soutenus par près de 300 personnes venues témoigner leur solidarité, ont décidé de se rendre au siège central de la FGTB. Objectif avoué : inviter le président du syndicat socialiste à se prononcer clairement sur les suites qu’il comptait donner aux principales revendications des manifestants, à savoir : la réintégration des six délégués exclus de leur centrale ainsi que la prise en charge des frais relatifs au procès par la FGTB.

On ne sait que trop ce qu’il advînt. Les « trublions », expulsés manu militari, terminèrent leur escapade dans les fourgons de la gendarmerie, laquelle, on l’apprit plus tard, avait été directement appelée à « à la rescousse » par Michel Nollet en personne. Celui-ci, fin connaisseur du système médiatique et des pratiques journalistiques, improvisa donc une formule juste calibrée pour faire, à coup sûr, les titres de la presse du lendemain : il fallait, coûte que coûte, répondre à une « tentative de déstabilisation ». Et pour être sûr de faire l’opinion (1), il ajouta : « à la Goebbels ». Par un effet de suivisme, propre au fonctionnement du champ médiatique, les médias eurent tôt fait de répéter, jusqu’à l’écœurement, la formule.

Rouge-brun : fascisme et lutte sociale

Sans doute l’identification au fascisme apparut-elle à l’opinion comme l’expression spontanée d’un dirigeant encore troublé par ce qu’il venait de vivre et qu’il s’acharnait alors à présenter comme un acte de « terrorisme ». A y regarder de plus près, cependant, l’analogie n’était pas neuve. En février 1997, alors même que les élites médiatiques se coltinaient depuis déjà deux mois les « discours démagogues et simplistes », les « incantations » à renverser les puissants « proférées » par le délégué principal des Forges, l’incident Zenner – tout vient à point à qui sait attendre – devait servir d’électrochoc à tous ceux qui, une semaine avant, étaient venus soutenir par dizaines de milliers la lutte de « Ceux de Clabecq ».

La victime, le curateur Alain Zenner, condamna sans appel des « pratiques qui, derrière des discours d’extrême gauche », semblaient, selon lui, « relever en fait de l’extrême droite ». A l’époque déjà, Le Soir et La Libre Belgique, inspirés par l’apparence de neutralité dont ils se réclamaient si fréquemment, en remirent une couche le surlendemain des incidents, évoquant eux aussi des « méthodes dont l’extrême droite a d’habitude le monopole ».

La Dernière Heure préférant quant à elle une attitude « rappelant sinistrement celle des fascistes », usant ainsi, à l’instar de ses confrères, d’une figure désormais classique de la rhétorique dominante, celle-là même qui vise à amalgamer des conceptions politiques et socio-économiques que tout oppose, mais que le clergé médiatique assimile sous le vocable polymorphe de « rouge-brun », chaque fois qu’il s’agit de disqualifier les résistances sociales au capitalisme triomphant.

L’hypertrophie médiatique rencontra donc, comme par un heureux hasard, la stratégie du « marquis » : imposer à l’opinion une représentation orientée et fallacieuse de la réalité, susceptible de créer des effets profonds de démobilisation. Ce fut également l’occasion de réduire une mobilisation sociale d’envergure à l’expression d’un climat de terreur préfigurant l’inculpation judiciaire d’ouvriers et de délégués syndicaux. La tromperie fut révélée à l’occasion de la sortie du livre d’Alain Zenner intitulé La saga de Clabecq. Dépassant les limites de l’indécence, il y annonçait que, « dans un souci de réserve et d’objectivité », son récit « serait articulé autour de compte rendus journalistiques ».(2)

Des médias inquisiteurs

Depuis lors, D’Orazio et « ses sbires » ont été exclus du syndicat. Le 3 avril 1998, le Comité exécutif national de la Centrale des métallos décida en effet, à l’unanimité, l’exclusion de la FGTB de Roberto D’Orazio, Gerlando Butera, Jean-Pierre Gotto, Silvio Marra, Pierre Mulone et Luc Tordeur, tous anciens militants syndicaux des Forges de Clabecq.

A la base de cette mesure, les incidents violents qui s’étaient déroulés le 27 mars 1998 à Bruxelles à l’entrée d’un congrès de la CMB, entre les intéressés et un responsable du Brabant wallon. La presse, logique avec elle-même, ne trouva bien entendu rien à y redire. N’avait-elle pas, elle-même, exigé la mise à l’écart du « Che » dans le courant du conflit social ? D’Orazio étant ainsi soupçonné par La Dernière Heure de « faire du tort à la FGTB ». Celle-ci, selon son éditorialiste, ne devait plus « tolérer dans ses rangs un meneur imposant ses vues par la terreur ». Le journaliste conclut comme suit : « Question : Nollet a-t-il la carrure pour mettre D’Orazio hors d’état de nuire ? »(3)

Alors que Le Soir regrettait de son côté que « les structures syndicales n’aient laissé trop longtemps la bride sur le cou de D’Orazio », La Libre Belgique enchaîna : « Sans doute peut-on comprendre que la FGTB ne chasse pas de ses rangs le délégué des Forges, la mesure ressemblant à un abandon de responsabilités ». Au lendemain du référendum postal, elle accusa même certains responsables éminents d’avoir « supporté aussi longtemps ce despote arrogant ». Le président du syndicat socialiste avait entendu le message. Il obéit et prit donc ses responsabilités...

Bien qu’ayant, tout un temps, soutenu publiquement la cause des travailleurs, tout en s’inscrivant dans une logique réformiste visant à endiguer la conflit social en brisant la relation d’homologie entre les salariés et leur délégation syndicale, Michel Nollet passa à la vitesse supérieure. Ainsi, parallèlement aux appels à la raison lancés par les journalistes, il intervint le 14 juillet, soit le jour précédant la distribution du courrier électoral aux travailleurs, dans le quotidien La Wallonie.

Dans « l’obligation morale de réagir » (4), soucieux de ne « pas laisser se pourrir l’image de la FGTB » (5), il s’opposa à l’appel au boycott lancé par « une bande de gangsters » (6). Il asséna le dernier coup à la représentativité et à la légitimité de D’Orazio, qualifiant ce dernier de « délégué syndical auquel on a oublié d’enlever le drapeau de la FGTB ». Une autre formule alors reprise dans le consensus médiatique le plus général par le reste de la presse. Jamais à l’époque la presse quotidienne francophone n’avait à ce point fait transparaître le caractère factice et artificiel du pluralisme démocratique dont elle prétendait tirer sa légitimité.

Diffamation perpétuelle : du Soir au Matin

Ce petit retour en arrière n’avait pas pour seul objectif d’illustrer le caractère stéréotypé des propos tenus par le corps journalistique à l’occasion des récents incidents de la rue Haute. Il permet également de comprendre le contexte diffamatoire dans lequel une certaine presse a cru bon de travailler au corps l’opinion publique. Il se trouva même une journaliste du Soir, farouchement opposée au « pape rouge des Forges », pour venir justifier l’attitude de Michel Nollet. A la question « Pourquoi les treize ont-ils été exclus de la FGTB ? », elle répondit : « Nollet n’a donné de la voix contre D’Orazio que le jour où il a tabassé Zenner… ». Malheureusement, Alain Zenner a toujours nié avoir été personnellement frappé par le président de la délégation des Forges…

La journaliste en question ne devait pas en rester là. Une semaine après l’expulsion, prétextant une soi-disant infiltration du syndicat socialiste par le PTB, elle affirma vouloir « dénoncer les mensonges », tous les témoignages prouvant que les méthodes des occupants lors du « siège » de la rue Haute avaient été particulièrement musclées. Elle évoqua alors des « sentinelles », une véritable « prise d’otages », une « opération commando », des témoins ayant reconnu « des membres du PTB », « des collectifs gaucho-anarchistes » etc. La chasse aux sorcières venait de commencer.

Certes, l’intéressée confessa : l’enquête à charge s’appuyait sur des « témoignages impossibles à vérifier mais concordants ». Cet article, on le sait aujourd’hui, donnera lieu à une lettre-réponse du 1er décembre faite par des étudiants de l’ULB ayant participé à l’occupation du siège national de la FGTB visant à « rectifier et dénoncer la manière dont avaient été relatés les faits et la prise de position effectuée par la journaliste ». Cette lettre, envoyée à de nombreuses rédactions nationales, ne connut que très peu de publicité pour ne pas dire aucune. On n’enregistra pas davantage de réaction à la lettre ouverte adressée à la journaliste du Soir par le Collectif sans/cent Nom(s) (voir par ailleurs). Seul Le Matin devait consacrer quelques lignes aux propos des artistes ayant participé à l’occupation. Pour le reste, un seul son de cloche, aucun recoupement !

Le lendemain, le jeudi 30 novembre, ce fut au tour de La Dernière Heure de titrer : « Roberto D’Orazio soupçonné de vol ». Se faisant l’écho d’une correspondance de la FGTB, accusant de manière à peine voilée D’Orazio de voleur (une K7 disparue, sans aucun rapport semble-t-il avec le dossier), le journal sacrifia ce qui lui restait de sa déontologie sur l’autel du tout-puissant Dieu de la délation. L’instruction médiatique se précisa : vraisemblablement fondée sur des allégations non fondées, des rumeurs, des manipulations grossières de l’opinion et la délation permanente.

Dernier maillon de la chaîne, Le Matin titra, dans son édition du samedi 2 décembre, sur le « traumatisme » de Michel Nollet. Revenant sur les prétendues « menaces de mort » et autres « agressions verbales », le quotidien relaya, sans la moindre distance critique, les propos d’Herwig Jorissen, lequel confirma qu’il ne réintégrerait jamais les délégués. On ne jugea pas utile, semble-t-il, d’informer le lectorat sur les liens entretenus lors du conflit de Renault-Vilvorde par le secrétaire général de la CMB et le SP.

C’est l’hebdomadaire Solidaire (23 avril 1997) qui, à l’époque, sortit l’affaire sans que cela ne fasse la moindre vague dans le ronronnement quotidien de notre actualité. Une cellule de crise réunissait alors Mia De Vits, secrétaire générale de la FGTB, Herwig Jorissen, Luc Van den Bossche (Ministre flamand de l’enseignement) ou encore Johan Vande Lanotte, alors Ministre de l’intérieur. Bref, courtiser le SP passait encore, séduire le Parti du Travail relevait nécessairement de l’ « infiltration ».

L’affaire D’Orazio : un cas exemplaire?

L’attitude du quotidien « progressiste » est-elle de nature à étonner? On se doit, malheureusement, de répondre par la négative. Le poids financier de la FGTB dans l’actionnariat du Matin ne laisse que peu de marge de manœuvre à des journalistes qui seraient, pour certains d’entre eux, soucieux de faire au mieux leur travail. A l’instar de son illustre prédécesseur, La Wallonie, le quotidien reste donc, malgré les déclarations d’intentions de ses responsables, la courroie de transmission privilégiée de l’appareil syndical socialiste qui, comme tout appareil bureaucratique, s’inscrivant dans la désormais traditionnelle « loi d’airain de l’oligarchie », est avant tout soucieuse d’assurer la pérennité de sa structure fut-ce aux dépens de la combativité de ses organisations sur le terrain.

L’affaire D’Orazio, comme on a coutume de l’appeler, illustre ainsi parfaitement la position d’une presse coincée entre, d’une part, son attachement nostalgique au militantisme et, de l’autre, sa proximité avec la famille social-démocrate francophone (dirigeants de la FGTB et du Parti socialiste), dont sa survie est encore largement dépendante, et avec laquelle elle entretient des relations plus qu’étroites.

Geoffrey GEUENS

Assistant et doctorant à l’Université de Liège

 

  1. P. CHAMPAGNE, Faire l’opinion. Le nouveau jeu politique, Paris, Minuit, 1990.
  2. A. ZENNER, La saga de Clabecq, Bruxelles, Luc Pire, 1998, p.7.

3. R. ARETS, « La bonne cause dans le rouge », dans La Dernière Heure, 12 février 1997.

4. Interview de Michel Nollet, « La stupidité n’a pas de limite », dans La Wallonie, 14 juillet 1997.

5. Ibid.

6. Ibid.