OGM : LA RECHERCHE SCIENTIFIQUE EN RÉFÉRÉ by A-Infos Saturday January 27, 2001 at 06:47 PM |
Le 5 juin 1999, dans le cadre de la "Caravane intercontinentale", cent cinquante personnes, dont cinquante paysans indiens, pénétraient dans l'enceinte du Centre international de la recherche agronomique pour le développement (CIRAD) de Montpellier. Après avoir fracturé une serre de confinement, elles entreprenaient la destruction de quelques milliers de plants de riz insecticides Bt, ainsi que d'une "collection" de riz [...]
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[Note d'A-Infos: Voici un "point de vue", chronique régulière de Courant Alternatif, mensuel de l'OCL]
Le 5 juin 1999, dans le cadre de la "Caravane intercontinentale", cent cinquante personnes, dont
cinquante paysans indiens, pé-nétraient dans l'enceinte du Centre international de la recherche
agronomique pour le développement (CIRAD) de Montpellier. Après avoir fracturé une serre de
confinement, elles entreprenaient la destruction de quelques milliers de plants de riz insecticides Bt,
ainsi que d'une "collection" de riz faisant l'objet des diverses recherches génomiques. Comme l'a remarqué
si justement Bernard Bachelier au nom du CIRAD, "pour la première fois, ce sont des équipements et des
essais de la recherche publique qui ont été atteints.
Au-delà du CIRAD, c'est toute la communauté scientifique qui est visée". Le CIRAD décida donc de porter plainte. Le 22 juin 1999, un coup de filet, également sans précédent dans les annales transgéniques françaises, aboutissait à l'interpellation d'une dizaine de personnes, puis à la mise en examen de José Bové, Rend Riesel et Dominique Soullier.
Le 18 septembre 2000, la juge d'instruction ordonnait le renvoi de l'affaire en correctionnelle (l'audience est fixée au 8 février 2001). Le 26 septembre 2000, le CIRAD faisait délivrer des assignations en référé au 12 octobre pour obtenir de la juridiction civile la désignation d'un expert.
"L'expertise" déjà effectuée avait chiffré le préjudice matériel dont le CIRAD s'estime victime à 247 706 francs (119 706 francs de dégâts et 128 000 francs pour le coût de la "reconstitution des plants de riz"). -Mais, aux yeux du CIRAD, cette "approche" ne prend "pas en compte les préjudices immatériels, de nature scientifique et morale (...) de loin les plus graves". Le CIRAD pense pouvoir les évaluer à la somme de douze millions de francs.
Prévue par les textes (article 5. 1 du Code de Procédure Pénale), une telle procédure est suffisamment rare (le plus souvent, l'expertise est ordonnée en même temps qu'il est statué sur l'action pénale et l'action civile) pour poser quelques questions. On pourrait s'étonner qu'un organisme de recherche d'État, investi d'une "mission de service public" consistant à "fournir une expertise indépendante" et une "recherche fondamentale ouvrant
la voie à une meilleure gestion de la biodiversité", ne se contente pas de satisfaire aux exigences du
retour sur investissements et profite de l'occasion pour faire une affaire assez peu immatérielle.
Sachant que les trois prévenus - quand bien même on les condamnerait comme cela a été suggéré à des
"travaux d'intérêt général" consistant à rempoter des plantes transg6niques, pendant quelques siècles - sont
incapables de s'acquitter de pareilles sommes, ne s'agit-il pas plutôt pour le CIRAD de disposer, à la
date du procès, d'une évaluation de son "préjudice" si exorbi-tante qu'elle incitera le Tribunal à la plus
grande fermeté ? Une telle interprétation n'est pas à exclure. D'autres sont toutefois envisageables. On
sait que les chercheurs - publics en particulier - ne s'embarrassent pas trop de la question de 'l'utilité
sociale" prêtée à "leurs travaux", constamment préoccupés qu'ils sont de la recherche des financements nécessaires à la poursuite d'une quête dont la gratification est ailleurs : salaire, prestige de la publication, aspects intrinsèquement "ludiques" de la recherche, etc. C'est donc finalement, non pas au tribunal, mais à l'État et aux autres bailleurs de fonds - -l'Union européenne, par exemple -, que le CIRAD entreprend de démontrer combien leur concours ultérieur est dès à présent indispensable pour reconduire des recherches et des expertises qui ne
seraient en définitif hors de prix que parce qu'elles relèvent d'abord de préoccupations hu-manitaires ou
environnementales. Des arguments de cet acabit (il est même question, dans l'assignation en référé, de la
"créa-tion de riz naturellement (sic) résistants aux prédateurs, permettant de limiter le recours aux
insecticides") n'ont, par conséquent, qu'une fonction strictement utilitaire.
On n'en arrivera pas davantage à l'essentiel le 8 février prochain, lors des prévisibles empoignades entre les partisans d'une re-cherche qui produit les néotechniques du contrôle social et ceux, velléitaires, d'un contrôle citoyen du commerce, de la démo-cratie, de la "mal-bouffe", de la "technologie" et de la recherche. Bref, une querelle sonore sur la meilleure manière de vouloir la même chose, répondant à l'injonction lancée par Alain Weil (CIRAD) à "la grande majorité des opposants aux OGM (...) sincères et honnêtes" de "se démarquer de quelques
manipulateurs manichéens qui profitent de la crédulité de leur auditoire pour mener d'autres combats".
On préférera ici trancher tout de suite cri faisant état, à propos des prétentions du CIRAD, de quelques
évidences sur lesquelles tout ce beau monde est d'accord pour faire silence.
Lorsque le CIRAD réclame cyniquement réparation des "préjudices immatériels", il sait qu'il recourt à une
notion indéfiniment extensible, On comprend donc mal la réserve qui le mène à cantonner l'essentiel des
dommages "aux travaux scientifiques anéantis, qu'il est nécessaire de reconstituer, au retard que le CIRAD
enregistre dans la recherche à l'annulation des publications prévues portant sur les résultats
obtenus, au coût de la rémunération des chercheurs et techniciens payés en pure perte, etc. " D'où viennent
cette surprenante timidité, cette étonnante retenue ?
Pourquoi ne pas dire tout de go que les saboteurs de juin 99 sont responsables des famines à venir ? Et que
dire des nombreuses créations d'emplois qu'auraient occasionnées ces riz trans-géniques, des expertises
sans nombre auxquelles ils auraient inévitablement donné lieu ?
Quant au "retard que le CIRAD enregistre dans la recherche", le premier téléspectateur venu est dorénavant dûment informé que "les Français" refusent majoritairement l'alimentation génétiquement modifiée.
Le "développement" dont s'occupe le CIRAD consistant notoirement à faire acc6der les pays du Tiers-Monde à
l'enviable prospérité de pays comme la France, impliquerait-il d'imposer là-bas ce qui est refusé ici ?
D'ailleurs, les populations des pays réputés "en retard" commencent à prendre elles-mêmes en mains leur
développement, en ce sens qu'elles développent, pour leurs raisons retardataires, leur refus des plantes
transgéniques. On pourrait donc dire, sans réclamer pour autant pour ceux qui l'ont commis quelque rétribution ou médaille que ce soit, que ce sabotage de la recherche n'a fait subir au CIRAD aucun préjudice mais l'a, bien au contraire, aidé à rattraper son retard sur une réalité historique qu'il persistait, à son grand préjudice, à ignorer.
Plus sérieusement, il est temps de comprendre que, faute d'être allée au bout de sa logique, l'agitation contre les OGM à usage agricole fait désormais fonction de leurre, comme si les boniments antimondialistes ne suffisaient pas ; pendant ce temps, l'offensive menée sur le front de la génomique humaine - quelle qu'y soit la part du bluff et des effets d'annonce - progresse, sans rencontrer la moindre résistance, sur le premier terrain qu'elle s'était assigné : celui du contrôle des esprits.
On le constate déjà dans le domaine des manipulations végétales ou animales, dont le premier objectif est, ouvertement, avant même la reconquête des marchés perdus, l'acceptabilité, c'est à dire la production d'une demande sociale pacifiée. La recherche a dû apprendre à communiquer. La mode technoscientiste que
s'applique à propager depuis quelques trimestres, un nombre croissant de médias de masse l'atteste aussi.
C'est bien le signe que la récréation est finie et que la formation continue.
Car, pour finir sur un des arguments invoqués par le CIRAD, quant à savoir si "l'introduction dans du riz de gènes permettant à la plante de se défendre spontanément contre les insectes pourrait constituer un progrès" (ainsi le CIRAD définit-il comiquement ses objectifs de recherche expertisante sur les riz insecticides qu'il s'apprêtait à repiquer en Camargue), il n'appartient manifestement pas à un organisme scientifique, fut-il public, d'en décider.''
Cela pourrait se traduire par une dernière interro-gation qui permettra à chacun de choisir son camp : la question de savoir ce qui constitue ou non un progrès n'est-elle pas, à l'évidence, trop simple pour qu'on laisse les scientifiques y répondre ?
René RIESEL
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[Note d'A-Infos: Le texte qui suit n'était pas inclus dans la version papier du journal, mais on nous l'a
envoyé en même temps que celui d'en haut, alors...]
De Millau au crachat citoyen
"Il est temps d'aller se dénoncer en masse!"
(in Le Grain de sable, organe d'information d'Attac, du 11 octobre 2000)
Le samedi 9 septembre 2000, la parcelle d'essais de maïs transgénique située à Longué, dans le Maine-et-Loire, est saccagée par des inconnus. Les gendarmes affirment après expertise de l'ADN, avoir trouvé des gouttes de sang féminin sur l'un des épis arrachés. Ils convoquent huit femmes de la région, connues pour leur hostilité aux OGM, et déjà photographiées au cours d'une réunion d'information, tenue en présence de techniciens du semencier Biogemma (qui menait l'expérimentation), de la Confédération paysanne et d'Attac.
Les gendarmes exigent qu'elles crachent pour effectuer des tests ADN à partir de leur salive. Six acceptent. Les autres refusent. Lors de l'assemblée annuelle d'Attac à Saint-Brieuc, le 29 octobre, son vice-président,
François Dufour, par ailleurs lea-der de la Confédération paysanne, propose aux adhérentes d'aller
en masse à la gendarmerie pour "faire leur devoir" : cracher. Ce qu'une centaine d'entre elles ont accepté
ce jour-là. Depuis, appel national, pétitions et convocations se succèdent...
LE MINISTRE DE L'INTÉRIEUR affirmait, il y a quelques mois encore, que la prise d'empreintes génétiques serait exceptionnelle. Vieux refrain. Le pouvoir d'Etat prétend toujours que les nouvelles armes répressives qu'il met en œuvre sont provisoires et indispensables pour protéger les citoyens contre les actes isolés de quelques individus. Mais il les banalise et les emploie de façon permanente, hors des conditions qui lui ont servi de prétexte pour en faire la promotion. Les tests ADN n'y font pas exception, comme le montre l'exemple du fichage génétique
islandais.
LE PROCUREUR DE LA RÉPUBLIQUE de Saumur chargé de l'enquête, Jean-Frédéric Lamouroux, n'en fait pas
mystère et justifie ainsi leur emploi : "La preuve scientifique est une garantie pour les libertés. Elle permet de confondre les coupables, mais aussi de disculper les innocents." (Libération, le 2 novembre 2000.) Vigoureuse conception de la présomption d'innocence! Le progrès technologique est affaire de police : quoi de mieux qu'un test génétique pour démasquer les opposants aux manipulations génétiques?
Voilà le message hautement symbolique que délivre l'autorité : le progrès est inéluctable puisqu'il contient en lui-même les moyens d'empêcher toute opposition à son avancée.
LA CONFÉDÉRATION PAYSANNE ET ATTAC du Maine-et-Loire ont été "choqués" par l'utilisation des tests ADN dans la mesure où ils ont été employés contre des syndicalistes et leurs épouses. Ils préfèrent les réserver aux présumés criminels, selon la définition qu'en donne l'État lui-même. D'ailleurs, ils ne cachent pas leur hostilité envers les actes radicaux qui brisent le consensus démocratique qu'ils ont établi avec le pouvoir d'État. Au lendemain du sabotage de Longue, ils affirmèrent n'être pour rien dans la destruction de la parcelle et que "cette
destruction non revendiquée gêne d'ailleurs [leur] démarche qui vise essentiellement à établir la transparence et à modifier la réglementation"*.
Dans le même esprit, le comité national de la Confédération paysanne, en juin, a interdit aux sections locales la moindre initiative sans l'accord de l'appareil. Bové n'est que le pantin médiatique d'une bureaucratie syndicale comme les autres. La Confédération paysanne est enfin devenue l'interlocuteur attendu de l'État, un lobby corporatiste comme les autres. Elle ne lutte pas contre les OGM, mais négocie les conditions de leur mise en place : "Pour tous les essais OGM réalisés en milieu réel, les firmes privées ne devraient pas pouvoir en réaliser seules le suivi.
L'implication d'une recherche publique "neutre" (issue de l'Inra, du CNRS ... ) et non liée économiquement aux firmes nous paraît obligatoire."* Comme si la recherche "publique" était étrangère au développement des OGM.
DANS LA LUTTE CONTRE LES OGM, il est déjà arrivé que des individus assument la responsabilité de leurs
actes au grand jour, comme à Nérac en janvier 1998 et au Cirad, à Montpellier, en juin 1999. Les leaders
d'Attac et de la Confédération paysanne en renversent aujourd'hui le sens. Ils inaugurent une nouvelle forme
de délation : celle, volontaire, des citoyens respectueux des lois de la République. Leur prétendue solidarité citoyenne rejoint les accusations du procureur de la République de Saumur.
Elle désigne en fait à l'État, comme coupables en puissance, les individus qui refusent de se soumettre aux nouvelles techniques de contrôle et de répression. Les citoyens modernes, que représentent les leaders d'Attac, sont ceux qui vont à la rencontre des desiderata de l'État et qui acceptent comme science indiscutable ce qu'il raconte. Rien d'étonnant à ce qu'ils acceptent le monde des biotechnologies, comme l'a déjà d'ailleurs affirmé le conseil scientifique d'Attac, qui appelle à "la mise en place d'instruments de contrôle démocratique afin de placer le puissant outil de recherche des biotechnologies au service de la vie"**.
Comme si, depuis 50 ans, les technologies, quelles qu'elles soient, n'avaient pas asservi et empoisonné la vie.
QUANT À NOUS, nous rejetons en bloc la bêtise récurrente des citoyens militants qui croient possible de s'opposer aux OGM sans refuser de se soumettre aux tests génétiques. Nous ne sommes pas solidaires des
gens qui acceptent la fatalité du développement technologique et qui en restent à des accès d'indignation morale contre les "dérives" qu'il génère. C'est pour nous la même vision bornée qui réclame plus de contrôle de la part de l'autorité que l'on veut croire bienveillante contre toute évidence.
Les mêmes viendront ensuite se plaindre des atteintes à leurs "libertés fondamentales" et réclameront que
les contrôleurs soient toujours mieux contrôlés.
Les citoyennistes se trompent donc de combat : la lutte à mener n'est pas la défense du dirigisme étatique
contre le libéralisme économique, mais bien plutôt la défense de la liberté et de l'autonomie humaines contre l'assujettissement de chacun à la machinerie industrielle et étatique du capitalisme.
SALUONS CELLES ET CEUX QUI S'OPPOSENT AVEC CONSÉQUENCE AUX DIFFÉRENTES APPLICATIONS DES BIOTECHNOLOGIES.
Paris, le 14 décembre 2000,
Quelques ennemis du meilleur des mondes, c/o ACNM, BP 178 - 75967 Paris Cedex 20
* Communiqué de presse (le la Confédération paysanne, du Gabb Anjou et d'Attac, le 20 octobre 2000. Dans La
Nouvelle République (lu 11 septembre 2000, on a même pu lire la déclaration sans ambiguïté (lu porte-parole
(le la Confédération paysanne du Maine-et-Loire, André Rouleau : "J'espère que la gendarmerie va pouvoir
identifier rapidement les auteurs."
** Appel à l'opinion et aux élus - Empêcher le hold-up des transnationales sur le vivant, conseil scientifique d'Attac, le 5 juin 1999.
****** Agence de Presse A-Infos ******
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