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Le Congo, enjeu africain
by Colette Braeckman Wednesday January 24, 2001 at 03:28 PM

Editorial du "Soir" du 24.01.01

Amputé d'un bon tiers de son territoire et privé de ses ressources, frappé d'embargo économique depuis dix ans, ravagé par une guerre que toute la population rejette, et aujourd'hui décapité de son chef, le Congo traverse une crise sans précédent, la plus grave de son existence. L'Etat fait face à une véritable entreprise de déstabilisation, dont aucun instrument n'est oublié : la préparation psychologique décrivant Kabila comme le seul verrou empêchant de conclure la paix, la cause de tous les blocages; l'assassinat du président et sa mort trop tôt annoncée alors que les autorités tentaient de se ressaisir; le prépositionnement de troupes étrangères afin, éventuellement, d'évacuer des expatriés qui n'en demandent pas tant; la suspension des vols Sabena et l'évacuation par les Américains de leur personnel diplomatique non essentiel; le refus d'accorder un minimum de crédit aux autorités afin que Joseph Kabila, choisi comme le plus petit dénominateur de cette situation de crise, puisse donner un peu de temps au temps et entamer le dialogue souhaité par tous.

Mais les époques changent et les prophètes doivent revoir leur copie : l'équipe au pouvoir, même traversée de courants contradictoires, a résisté au premier choc. L'Etat ne s'est pas effondré, les soldats, même irrégulièrement payés, ne se sont pas livrés à des pillages, l'ordre a été maintenu. Il n'y a pas eu de règlements de comptes et les autorités ont gardé leur sang-froid.

Quant à la population congolaise, qui s'est exprimée avec son chagrin et ses larmes aussi clairement qu'elle l'aurait fait avec un bulletin de vote, elle a résisté elle aussi. Malgré les expressions d'hostilité, ou de colère, à l'égard des étrangers, rendus responsables de l'enchaînement des malheurs, les Congolais vivent leur deuil dans la dignité et, jusqu'à présent en tout cas, tentent d'éviter des débordements qui justifieraient la disqualification du gouvernement et la mise sous tutelle du pays par une administration onusienne ou autre. Si, malgré de nombreuses prédictions, le Congo ne s'effondre pas, c'est aussi parce qu'il n'est pas seul : comme en août 1998, des pays africains se trouvent à ses côtés, les alliés d'Afrique australe (Angola, Zimbabwe, Namibie) assurent l'ordre dans la ville, tiennent les fronts militaires, tout en poussant en même temps au dialogue politique et en mettant les Congolais en garde contre toute intransigeance intempestive.

Alors qu'en ce moment même, à Bunia, un territoire sous contrôle ougandais, la guerre entre Hendus et Lemas a déjà fait 250 morts, que les troupes rwandaises menacent d'attaquer Banalia, au nord de Kisangani, par où s'enfuit le diamant, alors que les massacres se poursuivent au Kivu, l'histoire fera un jour la comparaison entre les prétendus « nouveaux leaders » du Rwanda et de l'Ouganda, qui ont montré leur véritable visage à Kisangani et ailleurs, et les dirigeants de l'Afrique australe, vétérans des luttes de libération et qui sont conscients des conséquences incalculables qu'entraîneraient pour tout le continent l'éclatement, la somalisation du Congo. Sans pour autant abandonner un pays qui mérite d'être aidé, les Occidentaux doivent oublier la tentation d'installer une équipe dirigeante qui leur soit proche et se faire une raison : ce sont des Africains qui écriront l'histoire du Congo.


Le Soir du mercredi 24 janvier 2001
© Rossel et Cie SA, Le Soir en ligne, Bruxelles, 2001