Récits d'exodes ouïgours by BÉNÉDICTE VAES (Le Soir) Monday January 08, 2001 at 02:33 PM |
Article du Soir du lundi 8 janvier
Samedi, les rafales de vent glacial déferlent sur le centre fermé 127 bis, construit juste à côté d'une des pistes de Bruxelles-National. A l'appel de la Ligue des droits de l'Homme et d'autres organisations, une centaine de manifestants (dont quatre parlementaires Ecolo) se sont regroupés devant les hauts grillages pour demander un traitement plus humain des demandeurs d'asile. Pour clamer leur refus des expulsions collectives et d'une politique qui criminalise l'image de l'étranger.
Mais l'avion belge a déjà atterri à Almaty... Des fenêtres du centre, des détenus agitent les bras en criant « Freedom » (Liberté ). Parmi les manifestants, une trentaine d'hommes et de femmes ouïgours, dont les traits évoquent ceux du peuple tibétain. Bien habillés, ils semblent d'origine aisée, cultivée. Arrivés en Belgique depuis un ou deux ans, en attente de la réponse à leur demande d'asile (souvent en recours), ils vivent au Limbourg et à Anvers. Un Belge d'origine russe assure la traduction. Relation de l'entretien.
Pourquoi êtes-vous venus en Belgique ? Nous sommes des réfugiés politiques. Nous sommes offensés lorsqu'on dit que c'est le minimex qui nous intéresse. La Chine a annexé notre patrie, qui a son histoire, sa culture, sa musique, ses richesses. Dans deux générations, le peuple ouïgour, assimilé, sera rayé de la carte.
Qu'est-ce qui prouve que vous n'êtes pas des Kazakhs se prétendant ouïgours ? Notre langue est différente (NDLR : c'est de l'ancien turc). Notre religion, notre cuisine, nos traditions aussi.
Quelle profession exerciez-vous dans votre pays ? Les réponses fusent : Commerçant, officier de police, ingénieur, dentiste, pédiatre, enseignante. Deux femmes sont infirmières. Un homme, arborant des dents en or, explique : J'ai laissé mes deux maisons, mes deux voitures. J'ai tout abandonné pour pouvoir avoir un avenir.
Pouvez-vous prouver que vous êtes persécutés ? Si nous sommes renvoyés au Kazakhstan, nous serons condamnés. On ne nous punira pas officiellement pour avoir demandé le statut de réfugié, on inventera des raisons pénales.
En septembre, on a liquidé quatre patriotes ouïgours sans jugement, en les traitant de terroristes. Nous craignons toujours d'être expulsés en Chine.
De quoi avez-vous souffert, personnellement ?
Le pouvoir est entouré de mafieux. Un Ouïgour qui est réputé avoir de l'argent est racketté. Pour entrer en fac, il faut payer 10.000 dollars. Quand on licencie, ce sont les Ouïgours dont on supprime le poste, sans tenir compte de leurs qualifications. Le harcèlement est devenu une routine : on ne peut pas citer de dates précises.
Comment expliquez-vous que la déléguée belge au Kazakhstan, Katarina Smits, certifie que les Ouïgours ne sont en rien persécutés ?
Mme Smits n'a compris du problème ouïgour que ce que les autorités ont voulu lui montrer. C'est-à-dire une minuscule facette. Elle s'est adressée à des Ouïgours en présence d'officiels. Nos compatriotes avaient peur et n'osaient rien dire.
Mes interlocuteurs refusent de donner leur nom. Même pas leur prénom. Nous craignons trop la police politique chinoise.·
Le Soir du lundi 8 janvier 2001
© Rossel et Cie SA, Le Soir en ligne, Bruxelles, 2001