arch/ive/ief (2000 - 2005)

Bilan d'1 an & 1/2 d'ouverture du centre fermé de Vottem (1)
by le CRACPE Sunday December 31, 2000 at 03:35 PM

Première partie du rapport

Texte du Collectif de Résistance aux Centres Fermés sur le bilan d'un an et demi d'ouverture du centre fermé de Vottem.
Ce texte est aussi disponible en téléchargement à l'adresse
http://www.collectifs.net/download/vottem.rtf




C.R.A.C.P.E.

Collectif de résistance aux Centres pour étrangers

BP 165 - 4020 Liège 2

Permanence téléphonique (04)232.01.04 du lundi au samedi de 17 à 18h30

Fax (04)222.27.74

Compte bancaire : 000-0659195-80

Le Collectif de résistance aux Centres pour étrangers s’est constitué en juin 1997 en réaction à l’annonce de la construction d’un Centre fermé à Vottem. Il regroupe des associations et des personnes qui s’engagent individuellement.

Le Collectif se bat pour la suppression du Centre de Vottem et de tous les autres Centres fermés et pour l’arrêt des expulsions. Les Centres fermés et les rapatriements forcés sont la négation des droits humains les plus élémentaires. Ils portent en eux les germes de la violence et de la mort. Les expulsions ont tué Sémira. Avant elle, les expulsions " à la belge " ont tué un Congolais et un Marocain. Mais la Belgique n’a pas l’exclusivité. Ces derniers mois, deux étrangers ont trouvé la mort lors de leur rapatriement forcé : l’un en Allemagne, l’autre en Autriche. Si la mort d’un expulsé reste (heureusement) l’exception, la violence, les blessures, les vies brisées sont le lot quotidien.

C’est pourquoi nous nous battons pour la suppression des Centres fermés et pour l’arrêt total des expulsions, et non pour leur " humanisation ". On ne peut humaniser l’intolérable !

Nous voulons combiner une action concrète au quotidien, avec une lutte politique globale.

Notre action au quotidien , c’est :

  • Une permanence téléphonique quotidienne ouverte aux détenus.
  • Une présence chaque mercredi et chaque samedi devant le Centre de Vottem de 16 à 17 H.
  • Le parrainage des détenus qui le souhaitent
  • La mise en place d’un réseau de soutien aux détenus libérés (logement, aide dans les démarches administratives, etc.).
  • Des démarches en vue d’imposer un droit d’accès le plus large possible à l’intérieur même du centre (grâce aux O.N.G., aux parlementaires, aux médecins extérieurs,…).

Nous intégrons cette action au quotidien dans une lutte politique globale :

Nous sommes conscients que les Centres fermés et les expulsions font partie d’une politique globale belge et européenne. Nous n’obtiendrons la suppression des Centres fermés et des expulsions qu’en obtenant un changement de la loi et de la politique. Pour cela une large mobilisation est nécessaire. Nous faisons un travail de sensibilisation dans différents milieux afin de permettre cette mobilisation. Nous organisons des manifestations, nous interpellons les décideurs politiques. Nous avons la volonté de construire un mouvement de résistance au niveau national et au niveau européen.

Avant-propos

Depuis l’ouverture du Centre fermé de Vottem, nous avons recueilli un grand nombre d’informations sur les motifs et conditions de détention, l’origine des détenus, les conditions d’expulsion. Nous en avons eu connaissance au travers d’une activité quotidienne intense à l’égard des détenus : permanence téléphonique, courrier, parrainage, échanges lors des présences de militants devant le Centre chaque mercredi et samedi, contacts avec les avocats à la demande des détenus, échanges avec les parlementaires qui ont accès au Centre, etc.

Toutes les informations ont été vérifiées et recoupées. Nous sommes prêts à fournir les preuves de ce que nous avançons au cas par cas. Dans ce sens, nous avons généralement indiqué les vraies initiales du nom des détenus cités dans les différents exemples. Nous n’avons pas repris les éléments qui pourraient mettre les détenus en danger vis-à-vis des autorités de leur pays, de l’Office des Etrangers ou la direction du Centre. C’est la raison pour laquelle nous avons rarement indiqué la nationalité.

Il nous a semblé important de synthétiser et de diffuser toutes les informations dont nous disposons. Nous espérons que la contestation de l’existence même du Centre de Vottem et de tous les autres Centres fermés n’en sera que plus concrète et percutante.

Le présent dossier n’est pas un bilan exhaustif de notre activité. Il ne reprend pas non plus l’ensemble des prises de position de notre Collectif. Un encadré en fin du chapitre " Conclusions " indique de manière très synthétique le cadre global essentiel dans lequel nous plaçons notre lutte.

La Direction du Centre de Vottem et l’Office des Etrangers tentent par tous les moyens de nous intimider et de nous discréditer, voire de nous criminaliser. Notre action les gêne. Notre meilleure incitation à poursuivre ce que nous avons entrepris, c’est l’encouragement des détenus eux-mêmes. Ils nous demandent de continuer à être solidaires, eux qui nous appellent le " groupe liberté " ou encore les " liberty people ".

SOMMAIRE

C.R.A.C.P.E. – Le Collectif de Résistance Aux Centres pour Etrangers 1

AVANT-PROPOS 2

Chapitre 1 : Origine, nombre et statut administratif des détenus 4

Chapitre 2 : Conditions de détention 5

A. Les contacts avec l’extérieur 5

1. Le téléphone 5

2. Le courrier 5

3. Les visites 5

4. Les démarches extérieures 6

B. Les sanctions 7

1. La mise en isolement 7

2. Le transfert vers d’autres Centres ou vers la prison 8

C. Les soins médicaux 9

D. Les problèmes de langue, de communication 10

E. L’assistance juridique 11

F. Le dépôt de plaintes individuelles 12

Chapitre 3 : Résistance des détenus 13

A. Grèves de la faim 13

B. Tentatives de suicide et automutilations 13

C. Evasions 13

Chapitre 4 : Situations particulières 14

A. Les victimes de la traite de êtres humains 14

B. Les mineurs d’âge 15

C. Les retours volontaires 16

Chapitre 5 : Libérations 17

Chapitre 6 : Expulsions 18

Chapitre 7 : Droit d’accès 19

A. Les O.N.G. 19

B. Les parlementaires 19

C. Les conseillers religieux et moraux 20

EN GUISE DE CONCLUSION 20

TEMOIGNAGES 23

ANNEXES 32

1.Origine, nombre et statut administratif des détenus.

Le Centre fermé de Vottem fonctionne depuis le 9 mars 1999. Il compte 192 lits répartis en 4 ailes de 12 chambres. Les ailes sont totalement séparées. Une aile est occupée uniquement par des femmes. Il n’y a pas d’aile mixte, contrairement au Centre 127 bis ; les couples sont donc toujours séparés. Le C.I.V. (Centre pour Illégaux de Vottem, dénomination officielle) peut incarcérer :

L’enfermement dès l’introduction de la demande d’asile est une possibilité, non une obligation légale. L’Office des Etrangers incarcère les demandeurs d’asile en fonction de choix politiques et tactiques : actuellement, ceux qui sont incarcérés à Vottem sont principalement originaires des pays de l’Est, parce qu’ils sont les plus nombreux, parce que le statut de réfugié ne leur est pratiquement jamais accordé, parce qu’on veut leur donner un " signal fort ".

Depuis le début de l’année 2000, le nombre journalier de détenus oscille plus ou moins entre 50 et 80. Une grande partie du bâtiment n’est donc pas occupée.

Pour l’année 1999 (de mars à décembre), le rapport annuel du C.I.V. donne les chiffres suivants : 361 étrangers ont été incarcérés et le taux moyen d’occupation était de 40 détenus par jour .

  • Origine des prisonniers par nationalité et par mois.
  • Regroupement par continents.
  • Répartition par statut administratif :

- 230 illégaux (219 sur base de l’article 7 de la loi de 80, c’est-à-dire des personnes qui n’ont pas de documents de séjour et qui n’ont jamais introduit une demande plus 11 sur base l’article 27 de la loi, c’est-à-dire des personnes qui n’ont pas respecté les délais pour quitter le territoire).

- 131 demandeurs d’asile (32 demandeurs à la frontière et 99 sur le territoire).

  • Répartition par sexe : 248 hommes, 113 femmes.

Il est intéressant de souligner qu’en 1999, 47,9% des détenus sont des Européens.

2. Conditions de détention.

Les conditions de détention dans tous les Centres fermés pour étrangers sont fixées légalement par un arrêté royal du 4 mai 1999. Chaque Centre fermé adopte aussi un règlement interne qui lui est propre. Depuis l’ouverture du Centre fermé de Vottem, nous avons recueilli un grand nombre d’informations sur les conditions de vie à l’intérieur.

A. Les contacts avec l’extérieur.

1. Le téléphone.

Les détenus ne peuvent pas recevoir de communication téléphonique, sauf de leur avocat. Ils peuvent téléphoner à l’extérieur, à condition de s’inscrire à l’avance dans un tour de rôle. L’entretien téléphonique se passe souvent en présence d’un gardien ou de l’assistante sociale. Ceux qui n’ont pas d’argent reçoivent une carte de téléphone à 200Frs. Ils peuvent aussi obtenir des cartes de téléphone en faisant des travaux d’entretien dans les bâtiments (" système de bons " ). Un an après l’instauration des corvées en contrepartie de cartes de téléphone ou de tabac, les détenus doivent travailler de plus en plus pour avoir de moins en moins de bons. De plus la demande est largement supérieure à l’offre, et l’attribution de possibilités de travailler est laissée à l’arbitraire total de l’un ou de l’autre gardien.

Notre Collectif est assailli de demandes de cartes de téléphone : pour la plupart des détenus, c’est le seul lien avec le monde extérieur et avec leur famille à l’étranger.

2. Le courrier.

Le courrier reçu est ouvert en présence du détenu. Il n’est généralement pas lu. D’après nos informations, le courrier envoyé par les détenus est transmis. Il n’est pas rare que le courrier prenne deux à trois jours de retard au départ de Vottem.

3. Les visites.

D’après l’arrêté royal du 4 mai 1999, le droit de visite est limité à la famille [ parents et alliés en ligne directe, tuteur, époux, partenaire (à condition de pouvoir prouver la cohabitation avant l’incarcération ), frères et sœurs, oncles et tantes. (art 35)] . Les autres personnes n’ont pas le droit de visite à moins que le directeur ne l’autorise (art 38). A Vottem, les visiteurs étrangers à la famille doivent justifier à quel titre ils demandent le droit de visite (circonstances dans lesquelles ils ont fait la connaissance du détenu, les motivations de leur demande). Maximum deux amis par détenu peuvent recevoir le droit de visite.

Le droit de visite reste très difficile à obtenir. Il est par principe refusé aux membres connus du Collectif.

De plus, beaucoup de membres de la famille, d’amis ou de connaissances des détenus sont eux-mêmes sans papiers et n’osent pas demander le droit de visite. Il n’est pas facile de comprendre la logique qui préside à l’autorisation ou au refus du droit de visite.

L’entretien se passe dans un parloir, hors de la présence d’un gardien. La durée maximale prévue est d’une demi-heure, mais il n’est pas rare que la visite puisse durer plus longtemps.

Le rapport annuel 1999, donne une indication très instructive :

119 détenus (sur 361 inscrits) n’ont jamais eu la visite de leur famille ou amis soit un sur 3 !

4. Les démarches extérieures.

Nous avons recueilli beaucoup de plaintes concernant la " non récupération " de bagages, de documents administratifs, d’effets personnels ou de sommes dues par les CPAS. Nous avons pu vérifier le bien-fondé de ces plaintes. Souvent, nous avons entrepris nous-mêmes des démarches qui auraient dû logiquement être faites par le personnel du Centre de Vottem, entre autres le personnel social.

Exemples.

P. Ses bagages sont restés dans sa chambre à Ixelles. Personne au Centre de Vottem ne s’en préoccupe. Quand quelqu’un se rend sur place, la chambre est relouée et tout a disparu.

T. Les bagages sont retrouvés dans son logement mais le passeport n’y est plus ! Bien qu’il ait demandé un retour volontaire, il est libéré avec un ordre de quitter le territoire (O.Q.T.) après 4 mois de détention.

D.Y. L’Office des Étrangers déclare sa demande d’asile irrecevable. Au sortir de l’interview, il est emmené au Centre de Vottem. Ses bagages sont restés dans la salle d’attente de l’Office des Étrangers, mais on lui interdit de les récupérer : " il pourrait en profiter pour s’évader " . Une démarche sur place pour tenter de récupérer les bagages n’aboutit à rien. Tout le monde s’en lave les mains. D.Y. n’a jamais rien récupéré. La souricière s’est fermée dès la fin de l’interview à l’Office des Étrangers.

S. Ses vêtements chauds sont restés à Gand dans la chambre qu’il occupait. Rapatrié à Moscou par où il avait transité avant d’arriver en Belgique, il lui reste 2000 Km à parcourir avant d’atteindre la Sibérie, seule région où il lui reste quelques attaches ! Il n’a rien pu récupérer avant son expulsion.

A.K. Son unique paire de chaussures est perdue dans son transfert de Bruges à Vottem. Il ne lui reste que des babouches de toile.

Tout se passe comme si le détenu d’un Centre fermé n’était plus qu’un être à expulser au plus vite. Qu’importe que ce soit avec ou sans valise, avec ou sans les souvenirs, les photos de famille, ou même le passeport ! Qu’importe que ce soit avec un peu d’argent ou sans le sou ! Les contacts avec l’extérieur sont proscrits.

Le rapport annuel 1999 décrit d’ailleurs comme suit le rôle du service social :. " Les assistantes sociales sont le maillon entre les résidents du Centre et le monde extérieur. Dans ce cadre, elles ont pour tâche d’expliquer les règles du monde extérieur qui donnent lieu à leur éloignement ".

Incroyable définition du travail social ! instructive définition de ce qu’un Centre fermé entend par " monde extérieur " : l’expulsion et rien que l’expulsion !

B. Les sanctions.

1. La mise en isolement.

Il y a douze cellules d’isolement au Centre de Vottem. Quatre sont réservées à l’isolement pour raisons médicales. Quatre autres sont construites selon le modèle des cachots " haute sécurité " : tout est scellé, la porte ne peut être actionnée que du quartier général des gardiens, le matelas est posé sur une dalle de béton.

L’arrêté royal du 4 mai 1999 stipule que l’isolement peut être imposé pour raisons médicales (art 55), préalablement à une expulsion (art 80) et à titre de sanction (art 90). La décision de mise en isolement à titre de sanction est prise par le directeur ou par son remplaçant (art 90). Le placement dans un local d’isolement peut être imposé à la suite d’une agression physique ou de vandalisme ou lorsqu’un occupant a commis une troisième fois la même infraction (art 90). La durée maximale de placement dans un local d’isolement est de vingt-quatre heures. Le directeur de l’Office des Étrangers peut décider de prolonger ce délai de 2 fois 24 heures. A l’expiration de ce délai, seul le Ministre peut décider de prolonger l’isolement (art 93). Et enfin, " l’occupant doit au préalable être informé des faits qui lui sont reprochés et aucune sanction ne peut être infligée avant qu’il ait été entendu " (art 95).

Qu’en est-il dans la pratique au Centre de Vottem ?

La mise au cachot est systématique préalablement à une expulsion, en cas de résistance à un rapatriement forcé et après une tentative de suicide ou une automutilation. La mise au cachot est très fréquemment utilisée à titre de sanction. Toute infraction au règlement, même mineure et même isolée, peut entraîner la mise en isolement. Il n’y a pas de gradation dans les sanctions : la sanction la plus grave est tout de suite appliquée.

Le détenu mis au cachot n’est jamais entendu, n’a aucun droit à se défendre.

Un registre des isolements est établi par le C.I.V. Ce registre consigne l’identité du détenu, la date, la durée et le motif de l’isolement. Le motif est décrit très sommairement et souvent de manière caricaturale. Seul le délégué du Centre pour l’Égalité des Chances a accès à ce registre. Non seulement la mise au cachot est une pratique très courante, mais de plus, le personnel brandit constamment cette menace pour intimider les détenus.

Toutes ces pratiques sont en contradiction avec l’arrêté royal du 4 mai 1999.

Quelques exemples de pratiques en matière d’isolement :

  • A.G., isolé après deux tentatives de suicide (une au commissariat de police lors de son arrestation, l’autre à Vottem). Après deux jours de cachot, il a été transféré à la prison de Saint-Gilles où il est resté 3 mois.
  • Le directeur menace de mise en isolement des détenus en grève de la faim pour qu’ils soient " mieux surveillés " (juin 1999).
  • Cinq détenus sont isolés pour " raison d’énervement " (août 1999).
  • M.D. est mis au cachot après une tentative de suicide ayant entraîné des blessures graves, enroulé nu dans une couverture (sans vêtements afin qu’il ne puisse se suicider pour de bon). Il y est resté 3 jours (novembre 1999).
  • J.N. est isolé pour avoir réclamé un peu fort un entretien avec l’assistante sociale en vue d’accélérer le rapatriement volontaire qu’il attend depuis plusieurs semaines (mai 2000).
  • T.C. est isolé parce qu’il a refusé qu’on lui arrache deux dents (il voulait qu’on les lui soigne) (mai 2000).

Aucun de ces motifs d’isolement ne ressemble de près ou de loin à un acte de vandalisme, d’agression physique ou d’infractions répétées au règlement…

Pour l’année 1999 (de mars à décembre), le rapport annuel du C.I.V. donne les chiffres suivants : 73 détenus (sur un total de 361 inscrits) ont été placés en isolement pour des raisons disciplinaires dont 6 pendant 48 heures. Le rapport ne précise pas autrement que par le terme de " raisons disciplinaires " les infractions au règlement dont se seraient rendues coupables les personnes concernées. 73 détenus isolés pour raisons disciplinaires, c’est une proportion énorme : un détenu sur 5 a été mis en isolement en 1999.

10 détenus ont été mis en quarantaine. Inclut-on dans ce chiffre les personnes ayant tenté de se suicider ou ces dernières sont-elles comptabilisés dans les cas répertoriés comme " raisons disciplinaires " ?

2. Le transfert vers un autre Centre fermé ou vers une prison.

" Lorsqu’un occupant met en danger par son comportement sa sécurité ou celle des autres occupants, des membres du personnel ou du Centre dans son ensemble, ou le bon fonctionnement de celui-ci, ou après une tentative d’éloignement, le directeur du Centre ou son remplaçant peut décider du transfert de l’occupant vers un autre Centre ou un autre établissement " (article 97 de l’arrêté royal du 4 mai 1999). Il faut entendre par " autre établissement " une prison. Les détenus qui " posent problème " peuvent donc être transférés vers un autre Centre Fermé ou vers une prison.

L’arrêté royal ne fait aucune distinction entre les motifs de transfert vers un autre Centre ou vers une prison.

La décision de transfert est prise par le directeur, sans explication, sans avertissement préalable, sans recours possible.

D’une manière générale, " poser problème " signifie ne pas se soumettre entièrement à la logique de l’incarcération et de l’expulsion, ne pas accepter docilement l’arbitraire des conditions de détention. Ce ne sont donc pas de dangereux criminels qui sont transférés dans les prisons.

Au Centre de Vottem la menace de transfert, comme celle de mise en isolement, est constamment brandie pour intimider les détenus.

Quelques exemples connus de transferts.

  • A.G. est transféré à la prison de Saint-Gilles après une tentative de suicide et pendant une grève de la faim (mars 1999). Il y restera jusqu’au 18 juin 1999, date de sa libération.
  • X.Y. est transféré au Centre de Merxplas, parce qu’il est considéré comme meneur lors d’une grève de la faim suivie par un nombre significatif de détenus (août 1999).
  • H.P. arrive à Vottem venant de Merxplas. Il est transféré à Bruges après une résistance réussie à son expulsion. De Bruges, il est transféré à la prison de Louvain après une nouvelle résistance à son expulsion, avant d’être à nouveau transféré au Centre de Vottem.
  • L.K., un des rares détenus à avoir (osé ?) demandé la régularisation, est transféré à Bruges après avoir rempli les documents relatifs à sa demande de régularisation (janvier 2000).

Le rapport annuel 1999 donne les indications suivantes :

  • 4 détenus ont été transférés vers le Centre de Merxplas suite à des problèmes disciplinaires ou à des refus de rapatriement.
  • 13 personnes ont été transférées vers les prisons (Saint-Gilles, Lantin et Berkendael) pour des raisons disciplinaires.

Le rapport annuel ne donne aucune explication sur le contenu de ces " raisons disciplinaires ". Se rendre coupable d’une tentative de suicide est-il considéré comme une raison disciplinaire justifiant l’incarcération dans une prison ?

C. Les soins médicaux.

Deux médecins sont engagés au Centre de Vottem. Début de l’année 2000, l’un des deux, Madame Marchant, démissionne après 11 mois de service (elle a été remplacée en avril 2000). Sa dénonciation des pratiques médicales en vigueur et du rôle assigné par la direction au service médical est accablante. Depuis lors, des témoignages concordants nous ont été transmis en grand nombre.

Très unanimement, les détenus eux-mêmes parlent de médecine expéditive, de " non prise en compte " des plaintes. " Le Directeur tourne toutes les plaintes à la rigolade et renvoie tout le monde avec la même pilule ", nous écrit un groupe de détenus ou " avec la même pommade ", nous disent d’autres. " Plutôt un vétérinaire ", nous dit un groupe de femmes.

Des soins indispensables et élémentaires sont refusés.

Les détenus sont emmenés menottés à l’hôpital, livrés à la curiosité générale. Ils en sont très choqués. Les détenues hospitalisées sont parfois gardées jour et nuit dans leur chambre par un gardien masculin.

Enfin, bien que l’arrêté royal du 4 mai 1999 stipule que le détenu peut faire appel au médecin de son choix, il est difficile, dans les faits, de forcer au respect de cette disposition.

Quelques exemples :

  • Deux détenues transférées du Centre 127 bis à l’occasion d’une grève de la faim sont accueillies avec des piqûres de calmants administrées de force (mai 1999).
  • B. Ses lunettes sont cassées lors de son arrestation à l’Office des Étrangers. Elle est myope (-4 aux deux yeux). La direction estime qu’elle doit payer elle-même les lunettes. Comme B. n’a pas l’argent nécessaire, il faudra beaucoup d’insistance et d’interventions extérieures pour qu’un rendez-vous soit enfin pris chez un spécialiste. B. a été expulsée le 27 juillet 2000 avant d’avoir obtenu de nouvelles lunettes…
  • T.M. a été victime d’un infarctus et est sous la menace d’un second. Le médecin du Centre réduit les problèmes à de l’hypertension. Il faudra beaucoup d’insistance pour qu’il puisse consulter un cardiologue (mai 2000).
  • K.A. rentre sérieusement blessé d’une tentative d’expulsion (tympan perforé, brûlures aux bras et aux jambes). Il a fallu un début de médiatisation de la brutalité de son expulsion, l’intervention de son avocat et d’une série d’O.N.G. (C.E.C.L.R., Amnesty International, Ligue des droits de l’Homme,…) pour qu’il puisse enfin consulter un spécialiste à l’hôpital. Le médecin du Centre ne s’oppose pas à une nouvelle expulsion par avion le 3 juin 2000 alors que K.A. est toujours en plein traitement suite à la perforation du tympan.
  • V.G., réclame en vain pendant deux mois des soins dentaires.
  • I.S. est victime de malaises cardiaques à répétition. Il lui faut faire preuve de beaucoup d’acharnement pour parvenir à passer un E.C.G. et subir une prise de sang.
  • A.M. malade du foie, fait une crise et s’écroule de douleur à terre, un soir vers 22h00. Les autres détenus exigent l’appel d’une ambulance, en vain… Chacun est prié de regagner sa chambre.

L’incroyable mauvaise qualité des soins médicaux accordés est d’autant plus grave que la population des Centres fermés est particulièrement fragilisée et dans un état d’angoisse permanent. Beaucoup de détenus sont incarcérés après une difficile période de séjour illégal, ou encore après un périple éprouvant pour arriver en Belgique par l’intermédiaire de passeurs pas toujours très scrupuleux, comme ceux qui ont assassiné les 58 Chinois à Douvres…

Le rapport annuel 1999 est plus que laconique dans son bilan de 9 mois d’activité.

Il décrit les soins médicaux fournis en ces termes : " Les soins fournis dépendent de la nature de l’affection et sont fonction de la population et des conditions atmosphériques (sic). Les soins sont comparables à ceux rencontrés dans une consultation privée. Les consultations spécialisées se font en extérieur. La demande la plus fréquente étant la dentisterie ". Deux chiffres sont cités sans commentaires : 10 personnes ont été mises en quarantaine au cours de l’année 1999. Il y a eu quatre tentatives de suicide.

Le bilan de 9 mois de fonctionnement du service médical ne tient qu’en ces quelques lignes…

D. Les problèmes de langue, de communication.

Rares sont les détenus qui parlent le français. Les problèmes de communication sont énormes. Les membres du personnel ont dans l’ensemble fort peu de connaissances en langues étrangères, y compris en anglais. Aucun interprète ne figure au cadre du personnel. Des traducteurs jurés viennent uniquement pour assurer la traduction des décisions de l’Office des Étrangers et du C.G.R.A. Les détenus qui parlent français ou anglais sont constamment harcelés par les gardiens et par les travailleurs sociaux pour servir d’intermédiaires dans la communication, ce qui permet de se poser des questions sur la fiabilité des traductions effectuées de cette manière.

Une défense juridique en pro deo donne droit à un crédit de 3 heures de prestations d’un interprète, déplacements compris. Il n’est pas toujours facile ni rapide de trouver un interprète disponible. Dans certaines langues, c’est même impossible. Certains interprètes ont de longs déplacements à effectuer qui viennent en décompte du crédit de trois heures. Dans ces conditions, assurer une défense juridique correcte est impossible.

Les détenus n’ont pas accès à des revues, vidéos, programmes TV dans leur langue. Le Centre dispose pourtant d’une antenne parabolique qui permet de capter les programmes TV du monde entier. La direction estime que la rotation des détenus est tellement grande qu’on ne peut prévoir dans quelles langues des abonnements à des revues ou à des journaux pourraient être commandés. Et l’achat de publications, hors abonnements, est tout simplement refusé.

L’achat de dictionnaires est extrêmement limité. La bibliothèque est ouverte deux fois par semaine, et les (très rares) dictionnaires disponibles sont prêtés pour un seul jour.

Bien qu’un nombre très important de détenus soient russophones, la bibliothèque ne comporte que deux ou trois livres en russe. Notre Collectif reçoit de nombreuses demandes de revues et dictionnaires en différentes langues.

Enfin, des détenus réclament en vain des cours de français.

Toutes ces difficultés de communication s’ajoutent aux problèmes de traduction lors des interviews à l’Office des Étrangers. Les plaintes à ce sujet sont récurrentes : conditions inacceptables de traduction, mauvaise qualité des interprètes, erreurs grossières, falsification des propos. Très souvent, les détenus ne se reconnaissent pas du tout dans les propos qu’on leur attribue à l’Office des Étrangers.

Ces problèmes de communication entraînent un grand isolement et la négation de fait d’une défense juridique correcte.

Nous avons été au courant de deux cas d’isolement particulièrement dramatiques :

  • Une Chinoise en très mauvaise santé ne sait s’expliquer avec personne. Son désarroi est tel que ses codétenues envisagent une grève de la faim ayant comme revendication unique qu’elle soit soignée correctement ! Finalement, après beaucoup d’insistance, un médecin chinois pourra entrer et l’examiner.
  • Un détenu slovaque âgé, atteint de troubles psychiatriques, est le seul à parler la langue qu’il connaît. Il est complètement prostré. Il sera finalement rapatrié en septembre 2000, jugé par le directeur comme " cas ingérable ".

E. L’assistance juridique.

Les détenus des Centres fermés ont droit à l’assistance d’un avocat pro deo. A présent, les demandes d’avocats sont généralement transmises par le service social au B.A.J. (Bureau d’aide juridique). Ce n’était pas le cas dans les premiers mois de fonctionnement du Centre de Vottem. Différents barrages était faits à la transmission des demandes et de fausses informations étaient données aux détenus.

Notre Collectif informe très régulièrement les détenus de leur droit à avoir un avocat. Il les incite à en faire la demande. Un document d’explication sur ce qu’est le B.A.J. est traduit en de nombreuses langues étrangères par nos soins. Beaucoup de détenus pensent en effet que les avocats pro deo sont des avocats gouvernementaux. A cause de la méfiance, du manque d’information ou encore de la courte durée de la détention, beaucoup de détenus ne reçoivent aucune visite d’un avocat.

Ceux qui ont introduit un recours urgent auprès du C.G.R.A. ont beaucoup de difficultés à préparer valablement leur défense du fait même qu’ils sont enfermés. Ils ne peuvent en effet ni prendre les contacts nécessaires, ni rassembler des documents ni encore contacter des compatriotes.

Le problème de la langue est une difficulté énorme : la défense en pro deo ne peut disposer que de 3 heures d’interprétariat, déplacements de l’interprète compris.

Une requête de mise en liberté peut être introduite auprès de la Chambre du Conseil du Tribunal Correctionnel du lieu de détention. Cette requête ne peut être introduite que contre la prolongation de la détention, et non pas contre la décision d’incarcération. Elle ne peut donc être introduite qu’après deux mois d’enfermement. Pendant ces deux mois, l’avocat n’a aucune possibilité d’accès au dossier administratif. Il a accès au dossier 48 heures avant la comparution devant le Chambre du Conseil. Il n’est pas rare qu’un détenu soit expulsé alors que la requête de mise en liberté est introduite.

Enfin, une récente modification de la loi au 1er août 2000 a réduit de 60 à 30 jours le délai pour l’introduction d’un recours au Conseil d’État. Le coût de cette procédure de recours est de 7000 Bef. La majorité des détenus ne disposent pas de cette somme. Ces deux dispositions constituent une atteinte grave aux droits de la défense.

L’ensemble de ces éléments font que l’accès à une défense correcte est généralement un leurre pour un étranger détenu dans un Centre fermé.

Le rapport annuel 1999 indique que 122 détenus (sur 361 inscrits), soit un sur 3, n’ont jamais reçu de visite d’avocats.

F. Le dépôt de plaintes individuelles.

Aucune procédure n’est prévue pour que des plaintes puissent être déposées et examinées valablement. L’arrêté royal du 4 mai 1999 stipule que " Chaque occupant a le droit de parler au directeur du Centre ou à son remplaçant. Il doit en faire la demande au service social " (art 120). Parodie de justice !

Dans deux cas graves (voir ci-dessous), les avocats des détenus ont suggéré le dépôt d’une plainte auprès du juge d’instruction. Pour cela, il faut déposer une caution de 3000 F auprès du juge et payer autant pour une expertise par un médecin légiste. Dans les deux cas, les détenus n’en avaient pas les moyens financiers. Estimant la bataille importante au niveau des principes, notre Collectif a avancé les sommes nécessaires.

  • V.J. conteste verbalement le médecin du Centre de Vottem qui lui prescrit une radio. Il demande que l’on récupère celle faite quelques temps auparavant alors qu’il était hébergé dans un Centre ouvert. Le médecin mandate un gardien chauffeur, pour l’emmener à l’hôpital. Comme V.J. s’y oppose, il est plaqué au sol, maîtrisé avec violence et menotté. Il se relève ensanglanté et le nez cassé en 5 endroits. Peu de temps après le dépôt de la plainte auprès du juge d’instruction, V.J. est libéré avec un ordre de quitter le territoire. Il est condamné à passer d’un abri de nuit à l’autre dans la région bruxelloise, sans moyens de subsistance, sans adresse fixe. Il a beaucoup hésité à témoigner devant le juge : il est en effet " illégal " puisque sans papier ! Après les faits survenus à Vottem, V.J. s’est senti très culpabilisé d’avoir été mêlé à un épisode aussi violent : comme s’il était le responsable et non la victime ! Aux dernières nouvelles, il a retiré sa plainte. Nous pouvons le comprendre vu la situation dans laquelle il se trouve. Si l’information se vérifie, nous tenterons de trouver les moyens de faire la lumière sur ce qui s’est passé : qui est le gardien violent ? Est-il toujours à Vottem ? Des sanctions ont-elles été prises ?
  • K.A., victime de la violence des gendarmes lors de son expulsion.

3. Résistance des détenus.

A. Les grèves de la faim.

Les détenus ont observé à plusieurs reprises des grèves de la faim. Les plus significatives sont les suivantes :

  • juin 1999, 30 détenus entament un mouvement sur un certain nombre de revendications : la liberté, l’absence de discrétion dans les appels téléphoniques, le manque d’aide des travailleurs sociaux, l’expulsion de 5 Marocains, et des problèmes rencontrés avec deux gardiens précis.
  • mars 2000, consécutivement à une tentative de suicide d’un détenu (M) qui s’était fortement blessé au cou et aux bras ; les détenus voulaient ainsi réagir au désespoir qui entraîne la volonté de se supprimer la vie.
  • septembre 2000, une trentaine de détenus entament une grève sur une seule revendication : leur libération.

B. Les tentatives de suicide et automutilations.

Nous avons eu connaissance de plusieurs tentatives de suicide et/ou d’automutilations.

  • G.A. se tranche les veines et se cogne la tête aux murs. C’est sa deuxième tentative de suicide (la première au commissariat de police le jour de son arrestation) (mars 1999).
  • A.G., se tranche les veines (mai 1999).
  • P.L. s’ouvre les poignets avec une lame de rasoir (mai 1999).
  • M.C. tente de se pendre avec sa ceinture (juin 1999).
  • M.D. est mis au cachot après une tentative de suicide, enroulé nu dans une couverture. Il y restera 3 jours (novembre 1999).
  • M. se tranche le cou et les bras. Il devra être soigné en hôpital (février 2000).
  • L.K. se brûle gravement en répandant du café bouillant sur lui dans un geste de désespoir.

Nous avons eu connaissance de pas mal d’autres tentatives de suicide. La réaction du Centre de Vottem est répressive : mise en isolement et/ou transfert vers un autre Centre si pas vers une prison. La réaction est aussi cynique : " les détenus font semblant pour faire pression, pour tenter d’échapper à l’expulsion ". Jamais la tentative de suicide n’est considérée pour ce qu’elle est : le signe le plus tangible du désespoir !

C. Les évasions.

Depuis l’ouverture du Centre de Vottem, il y a eu 3 évasions réussies. Une seule du Centre de Vottem même, en août 2000, à la faveur d’une panne de caméras pendant la nuit. Les deux autres à partir d’un hôpital (polyclinique et institut psychiatrique). Un détenu a tenté de s’évader du Centre lui-même fin 1999. Il est parvenu à escalader toutes les clôtures, mais a été repris sur l’autoroute toute proche, épuisé. Deux autres tentatives en septembre 2000 ont été vouées à l’échec.

Le Ministre Flahaut avait déclaré avant l’ouverture du Centre que les travaux avait été réalisés pour " renforcer la sécurité " , c’est-à-dire pour rendre impossibles les évasions.

4. Situations particulières.

A. Les victimes de la traite des êtres humains.

Un certain nombre de personnes incarcérées au Centre fermé de Vottem se révèlent être des victimes de la traite des êtres humains : femmes en provenance des pays de l’Est ou de pays d’Afrique centrale happées par les réseaux de prostitution, Chinois(es) exploité(e)s dans le secteur de l’Horeca, Afghans ou Sri Lankais abusés par des passeurs sans scrupules,… Ces personnes se sont engagées à payer un prix élevé pour arriver jusqu’ici. Celles qui sont destinées à des réseaux sont séquestrées dès leur arrivée et contraintes, par la violence, par les sévices, à supporter l’exploitation afin de rembourser, au bout de combien d’années, cette dette qui peut parfois s’élever jusqu’à un million de nos francs. Certains se sont fait arrêter sur des parkings d’autoroute alors qu’ils étaient en chemin vers d’autres pays. Nous avons connu des Nigérianes, des Sri Lankais arrêtés sur le parking de Barchon, des Chinoises arrêtées dans des restaurants, … Depuis la multiplication des Centres fermés pour Étrangers, des victimes ont été conduites dans ces Centres, notamment à Vottem et non dans un centre d’accueil spécialisé.

Étant donné l’arrivée de nombreuses victimes, une collaboration a été instaurée entre le Centre de Vottem et Sürya. Lorsque les assistantes sociales de Vottem sont alertées par une situation, elles font appel à l’A.S.B.L. Sürya et différentes démarches sont entreprises. Une partie des personnes, victimes, détenues à Vottem peuvent donc être bénéficiaires de l’aide légalement prévue selon la circulaire de 199716. Une autre partie n’en bénéficie pas.

Les assistantes sociales (au nombre de 3), ne peuvent consacrer suffisamment de temps à l’écoute, même si elles veulent faire un travail plus social. Leur appartenance au personnel du Ministère de l’Intérieur a pour conséquence que beaucoup de personnes détenues sont méfiantes et cachent leur situation de victimes.

Les assistantes sociales ont pour mission d’œuvrer à la réalisation de l’expulsion (et donc de son acceptation par la personne détenue), non pas d’aider les personnes détenues à obtenir un droit de séjour en Belgique.

Pour ces personnes qui n’ont pu faire état de leur situation de victime et/ou qui n’ont pas été aidées, deux issues se présentent : l’expulsion ou la libération avec délivrance d’un ordre de quitter le territoire dans les 5 jours. Dans ce dernier cas, les personnes libérées sont souvent récupérées par le réseau maffieux qui les exploitait (c’est le cas par exemple de détenues victimes de la prostitution) ou se retrouvent à la rue sans aucun moyen de subsistance, séparées des compatriotes avec lesquels elles avaient fait parfois déjà un long chemin, ayant perdu le contact avec leurs passeurs. Toutes les sommes englouties ne les ont même pas acheminées là où elles voulaient se rendre parce qu’elles ont été arrêtées en cours de route par les forces de répression.

Les libérations avec O.Q.T. concernent un nombre important de détenus du Centre de Vottem et sont souvent le résultat de différentes démarches juridiques entreprises par des avocats consciencieux et au-dessus de tout soupçon. Mais nous avons reçu plusieurs témoignages (fiables et recoupés), selon lesquels quelques avocats liés à des réseaux parviennent à obtenir facilement des libérations.

Les personnes détenues acceptent les services soit par peur de représailles du réseau, soit par peur d’être expulsées là où elles ont été persécutées ou encore d’être rapatriées sans avoir répondu aux espoirs de leur famille.

Pour toutes ces raisons, lorsque nous nous rendons compte que des personnes détenues sont victimes de la traite internationale des êtres humains, nous leur suggérons de demander l’intervention d’un Centre spécialisé.

B. Les mineurs d’âge.

La loi ne s’oppose pas à l’incarcération de mineurs d’âge, qu’ils soient accompagnés ou non. Bien que certaines libérations aient eu lieu, entre autres du Centre 127 bis en décembre 1998, la loi n’a pas été modifiée et des mineurs sont toujours détenus dans les Centres fermés.

L’Office des Étrangers (O.E.) met systématiquement en doute les affirmations des demandeurs d’asile ou des détenus qui se déclarent mineurs et fait procéder à des radiographies des os (poignet, colonne vertébrale) à l’Institut d’Études Tropicales d’Anvers.

Depuis 1999, le C.H.U. Saint-Pierre de Bruxelles refuse de procéder à ces examens pour des raisons d’éthique médicale et de " non fiabilité ". D’autre part, un important arrêt du Conseil d’État du 28 décembre 1998 a mis clairement en lumière l’absence totale de fiabilité de ces examens dans la détermination de l’âge.

Pour les détenus du Centre fermé de Vottem, l’Office des Étrangers a demandé, dans un 1er temps, à un radiologue liégeois d’effectuer les examens osseux. Celui-ci donnant des conclusions qui " ne plaisaient pas ", les détenus sont à présent envoyés à l’Institut d’Études Tropicales d’Anvers…

Quelques exemples de mineurs d’âge qui ont été détenus à Vottem :

  • E.S., Sierra Léonaise de 16 ans, transférée à Vottem le 22 novembre 1999 après plusieurs mois de détention au Centre de Bruges et plusieurs tentatives violentes d’expulsion (voir chapitre " expulsions "). Bien que son âge ne soit pas contesté par l’O.E., elle a été expulsée au Bénin où elle n’avait ni famille ni attache. Son avocat avait pourtant entrepris des démarches très concrètes en vue de son placement en famille d’accueil.
  • K.A. Kosovar de 15 ans, incarcéré le 10 décembre 1999 après avoir résidé pendant un an en Allemagne. Après beaucoup d’interventions diverses, il est sorti du C.I.V. en janvier 2000, mais il ne nous a jamais été possible de savoir quel sort lui avait été réservé (des informations contradictoires nous ont été données).
  • S.A. et C.D. arrêtés fin juin 2000 sur un parking d’autoroute. Ils ont été libérés après qu’ils aient gagné le recours urgent introduit auprès du C.G.R.A. A leur libération, ils ont été admis au Centre pour Mineurs du Petit Château, ce qui prouve bien que leur minorité n’était pas contestée.
  • M. H., reconnu réfugié en Allemagne. Finalement reconduit à la frontière allemande, ce qu’il souhaitait dès le départ.
  • M.Z., jeune Afghan, arrêté mi juillet 2000 et libéré par décision de la Chambre du Conseil. Le Parquet a fait appel de la décision de libération. La Chambre des Mises en accusation l’a libéré mi août 2000. L’Institut d’Études Tropicales avait conclu que M.Z. était âgé d’au moins 18 ans sur base des radiographies des poignets. Un rapport établi par le Centre de Santé de l’Adolescent du C.H.U. du Sart-Tilman a conclu qu’il y avait doute majeur sur l’âge, malgré les résultats non contestés des radiographies. La Chambre des Mises en accusation a libéré le jeune homme sur base du rapport du service spécialisé du C.H.U. Cette décision est importante au niveau de la jurisprudence : les conclusions que l’on peut tirer des examens osseux sont fortement relativisées (ces examens sont un élément parmi d’autres), et surtout M.Z. a été libéré parce que mineur d’âge.

Au Centre fermé de Vottem, le traitement réservé aux mineurs d’âge n’est pas meilleur que celui réservé aux adultes. Ils sont soumis aux mêmes règles de vie et de sanctions. Leur sortie n’est pas mieux préparée que celle des adultes. Ils sont, comme les adultes, des êtres à expulser, pas à aider ni à protéger.

Exemples :

  • M.Z. a été libéré, les démarches concrètes (le conduire à la gare, lui expliquer les démarches à faire, l’acheminer vers le centre ouvert où il pouvait résider) ont du être organisées par notre Collectif.
  • E.S. est restée incarcérée plus de 9 mois et a été expulsée de manière très violente.

C. Les retours volontaires.

De nombreux détenus se plaignent de l’extrême lenteur des démarches en vue d’un rapatriement volontaire.

Originaires de l’Arménie, du Tadjikistan, d’Ukraine, de Russie, du Kazakhstan, ils attendent pendant des semaines ou des mois les laissez-passer indispensables au voyage et à la réadmission dans leur pays.

Quelques exemples :

  • S. est à Vottem depuis début février 2000, il demande en vain le rapatriement. Il ne peut contacter sa famille en Russie que mi-avril pour la prévenir de son incarcération, et ce grâce à des cartes de téléphone données par notre Collectif.
  • M. dont les documents ont été égarés à l’Office des Étrangers ou au Centre 127 bis voit son rapatriement volontaire constamment reporté. Un jour, l’ Office International des Migrations (O.I.M.) a réservé une place dans un avion que M. n’a pas pu prendre parce que le laissez-passer n’était pas arrivé. L’O.E. a envisagé de le libérer pour se débarrasser du problème, ce que M. a toujours refusé, sachant qu’une libération avec un ordre de quitter le territoire le placerait dans une voie sans issue.
  • N.J. renonce en mai 2000 à sa demande d’asile. Pendant des semaines, il attend le retour volontaire. Il sera même mis au cachot parce qu’il insiste lourdement. Les justifications qui lui sont données à propos de la lenteur des démarches sont contradictoires. Il semblerait en définitive que c’est l’Office des Étrangers qui bloque son dossier, craignant que N.J. ne demande le retour volontaire que pour pouvoir s’échapper à l’aéroport.
  • M.S. est de nationalité russe mais a résidé en Ukraine. Sa famille (épouse et 4 enfants) y vit encore mais l’Ukraine ne veut pas de lui parce qu’il est Russe et que son passeport n’est plus valable.
  • T. est arménien. Très rapidement après son incarcération, il demande un retour volontaire. Les documents ne sont jamais parvenus. Il est resté incarcéré pendant plus de 4 mois avant d’être libéré en mai 2000 avec un ordre de quitter le territoire !
  • V.G. Incarcéré plus de 4 mois (2 mois à Merxplas et deux à Vottem). Il n’y a pas d’ambassade du Tadjikistan en Belgique et le laissez-passer n’arrive pas.

5. Libérations.

Il y a, principalement, deux catégories de libérations : d’une part, les demandeurs d’asile dont la demande est jugée recevable après un recours urgent auprès du C.G.R.A., d’autre part, les illégaux libérés avec un ordre de quitter le territoire dans les 5 jours (cas le plus fréquent) ou dans les 30 jours.

Les libérations avec ordre de quitter le territoire sont en fait un retour à la précarité et à la clandestinité, puisque les personnes concernées n’ont droit ni à une autorisation de séjour, ni au travail ni à l’aide sociale.

Ces libérations sont décidées par les tribunaux (Chambre du Conseil ou Chambre des Mises en accusation) ou par l’Office des Étrangers. Les motifs pour lesquels l’O.E. libère des détenus sont parfois incompréhensibles. En réalité, elles sont aussi arbitraires que les motifs d’incarcération. On peut toutefois dégager deux raisons :

  • lorsqu’une personne est détenue depuis longtemps et que sa nationalité n’est toujours pas établie (reconnue par le pays d’origine) ;
  • lorsqu’une personne a introduit un recours en cassation après une décision de la Chambre du Conseil ou de la Chambre des Mises en accusation et que l’Office des Étrangers craint une décision en cassation qui lui serait défavorable.

Dès la décision de libération, le détenu doit quitter le Centre sans délai. Il ne peut même pas aller faire ses adieux à ses codétenus.

La sortie est rarement préparée par le personnel du Centre, même celle des mineurs d’âge. Des détenus libérés se retrouvent à la rue ou dans les abris de nuit, sans informations sur leurs droits ni sur les démarches à accomplir. S’ils n’ont pas d’argent, ils sortent (au mieux) avec un ticket de train (selon le cas, pour se rendre à l’Office des Étrangers ou au C.P.A.S. compétent en application du plan de répartition) et une somme de 240 Bef. Les services sociaux privés les aident dans les démarches administratives.

Notre Collectif leur trouve si nécessaire et si possible un hébergement provisoire.

Dans les premiers mois de fonctionnement, les libérés se retrouvaient tout simplement sur le trottoir du Centre fermé. Ils sont à présent conduits en ville ou dans une gare, non pas dans leur intérêt mais dans le but de tranquilliser les riverains inquiets pour leur sécurité !

Au mois d’août 2000, un service social privé a dû donner des titres de transports à plusieurs demandeurs d’asile afghans libérés. Conduits dans un asile de nuit, ils avaient été libérés sans aucune aide.

Le service d’urgence sociale du CPAS de Liège a décidé de n’intervenir ni pour les demandeurs d’asile ni pour les illégaux (" nos pauvres d’abord "). Les étrangers libérés du Centre de Vottem ne peuvent donc rien en attendre.

Le rapport annuel 1999 indique que 174 détenus ont été libérés (sur 361 inscrits, soit près de 50%).

Il ne donne aucune indication sur le statut administratif des personnes libérées, ni sur les raisons de leur libération. Ces indications seraient pourtant de toute première importance.

6. Expulsions.

De nombreuses expulsions ont lieu régulièrement. Les détenus savent en général que la résistance au rapatriement entraîne la répression et que celle-ci s’amplifie au fur et à mesure des tentatives d’expulsions. La première tentative se fait sans gendarme, la deuxième avec un gendarme, la troisième avec une escorte. Beaucoup résistent une première fois puis cèdent devant les risques.

Exemples d’expulsions :

  • E.S. 16 ans, Sierra Léonaise. Début décembre 99, elle a été expulsée au Bénin, où elle n’avait ni famille, ni contact. Elle a subi plusieurs tentatives d’expulsion. L’avant-dernière a été particulièrement violente : enfermée dans la soute à bagages, elle aurait été menacée de mort pour la faire taire. Un employé a alerté le commandant de bord qui a exigé qu’elle soit descendue de l’avion. C’est après ces faits qu’elle a été transférée au Centre de Vottem.
  • K.A. A subi 5 tentatives d’expulsion consécutives : de la quatrième, il est gravement blessé (tympan perforé, brûlures aux bras et aux jambes causées par les menottes). Il a déposé plainte à Zaventem ; celle-ci n’a aucune chance d’aboutir. De retour à Vottem, A. est amaigri, sans voix, ne mange plus. C’est le désespoir total. Il nous déclare après la 5ème tentative d’expulsion qu’il ne résistera plus, comprenant que sa vie est en danger. Il a finalement été libéré.
  • T.F. Des codétenus nous disent qu’à son retour de Zaventem, il saignait abondamment et était très mal en point. Ils en ont été fort impressionnés.
  • A.M. A subi le 5 juin 2000 une deuxième tentative d’expulsion. A son retour il présentait une blessure au genou droit, de nombreuses traces de coups au thorax et à l’estomac, et une blessure au visage. Ce qui l’a le plus révolté, dit-il, ce sont les injures violentes des gendarmes. Plus que les coups…
  • S. Déserteur Russe ayant refusé son engagement dans la guerre de Tchétchènie. Par notre intermédiaire, il contacte différentes associations pacifistes avec l’objectif de prendre sa défense. Mais il ne supporte pas l’incarcération. Il décide de ne plus résister à son rapatriement forcé, convaincu qu’il a trouvé un " truc " pour échapper au danger et qu’il reviendra tout de suite en Belgique. Nous n’avons plus jamais eu de nouvelles.
  • A.C. A participé dans son pays à des mouvements de protestation d’étudiants contre l’emprisonnement sans procès d’un opposant au gouvernement. Il était en transit pour la Suisse qui lui avait promis un permis de séjour quand il a été arrêté à l’aéroport. Il résiste à deux tentatives d’expulsion. Quand il arrive à Vottem (après un séjour au Centre 127 bis puis à Bruges), ses bras sont marqués de plusieurs cicatrices. Il sera finalement rapatrié le 15 mai 2000. Il nous a laissé l’adresse de ses parents " au cas où il lui arriverait malheur ". Nous sommes sans nouvelles.
  • M.A. Expulsé en novembre 1999 par avion militaire avec 15 autres Nigérians. Préalablement à son expulsion, il a été transféré à la prison de Saint-Gilles.
  • M.P. Disposé à accepter son rapatriement. A l’aéroport, il a été tellement ulcéré par la violence et le racisme des gendarmes qu’il s’est rebellé.

Lorsque nous avons connaissance d’une expulsion refusée par la personne détenue et qu’elle nous le demande, nous alertons le commandant de bord de la présence possible d’un expulsé. Nous expliquons les raisons pour lesquelles la personne refuse l’expulsion et les risques qu’elle encourt en cas de retour forcé. Quand nous parvenons à savoir vers quelle destination et donc dans quel avion la personne peut se trouver, nous mobilisons à l’aéroport pour informer les passagers de la présence probable d’un expulsé. Nous leur proposons de manifester leur opposition à l’expulsion et d’exiger du commandant de bord qu’il ordonne le débarquement de la personne à rapatrier.

Le rapport annuel du C.I.V. signale qu’en 1999, 107 détenus ont été rapatriés. 65 d’entre eux, soit 60%, étaient originaires des pays de l’Est. Les principaux pays de destination étant dans l’ordre d’importance : la Bulgarie, la R.F. de Yougoslavie, la Pologne, la Roumanie, l’Ukraine.